Kent Nagano aurait voulu sentir la coupe

Kent Nagano
Photo: Antoine Saito Kent Nagano

Du 2 au 4 juin, Kent Nagano devait monter sur la scène de la Maison symphonique pour faire ses adieux en tant que directeur musical en saison régulière de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), après un mandat de quatorze saisons. Cet au revoir ayant été différé, nous avons voulu interroger le chef sur ses souvenirs et émotions.

« Vous savez, ce que j’ai vécu là, à Montréal et au Québec, est extraordinaire, je n’ai jamais, vraiment jamais vécu cela ailleurs : accomplir des choses avec tout le monde en train de tirer dans la même direction. C’est simple à dire, mais cela n’arrive pas souvent. Pas seulement l’orchestre, mais aussi le conseil d’administration, l’administration, le gouvernement et le public. C’est pour cela que l’on a accompli autant dans cette période, qu’on a construit une maison, amené une certaine sécurité financière, avec le fonds de dotation, grâce à la générosité de la communauté, un élément déterminant, surtout maintenant que nous allons avoir beaucoup de pression à cause de la crise. »

Seul le public…

Il est évident que l’expérience montréalaise a marqué Kent Nagano. S’il a pu faire bouger des choses au point de faire enfin aboutir le très vieux projet de salle de concert, il n’a cependant pas pu tout contrôler. « Mon plus grand regret, et c’est vraiment personnel, est que j’ai rêvé de voir l’OSM jouer pour les Canadiens quand les Canadiens ramèneraient la coupe Stanley. J’ai demandé la permission pour cela et j’ai patiemment attendu 16 ans, mais je ne l’ai pas vécu ! »

Nous rassurons Kent Nagano en lui indiquant que, s’il était amené à être nommé chef honoraire et que le miracle se produisait, il aurait probablement sa chance. « Je resterai patient. Ça va venir… »

Le chef d’orchestre ne sait pas quand il pourra prendre congé de l’orchestre et du public ni comment, puisque les deux œuvres prévues, la 2e Symphonie de Mahler à la Maison symphonique en juin et la 9e Symphonie de Beethoven au Stade olympique en août, sont des partitions avec chœurs et à grand déploiement, celles-là mêmes qui risquent d’être victimes des précautions sanitaires pendant un temps.

Mais il trouve « stimulant pour un artiste de penser en dehors des schémas traditionnels et de rechercher des œuvres qui ne sont pas les plus faciles à programmer dans un concert symphonique traditionnel ». « On peut faire un grand événement avec des œuvres qui misent non pas sur la quantité, mais sur la qualité », conclut-il.

Interrogé sur les trois choses majeures qu’il pense avoir apportées à Montréal, Kent Nagano estime qu’au bout du compte, « ni moi, ni vous, ni personne ne peut vraiment répondre ». Le public étant selon lui le seul juge, le chef observe que, « de manière générale, l’OSM a gagné un formidable public, le plus jeune de son histoire, très divers et sensible à la qualité ».

Quant à l’orchestre : « L’OSM est devenu ce que j’appelle un orchestre pour le XXIe siècle grâce à un très fort recrutement ; c’est un orchestre affranchi de la politique, responsable, dévoué au service de la communauté et de la prochaine génération de musiciens, de compositeurs et des Montréalais en général. Et l’orchestre a aussi beaucoup plus confiance en lui. »

Pour la prochaine génération

 

Lancé dans un bilan, Kent Nagano compte parmi les « bonus de cette dernière période » le fait d’avoir fait de Montréal une « cité musicale internationale en maintenant l’engagement dans la musique française, amenant beaucoup de musique canadienne de toutes les générations et de musique d’Europe centrale, tout en renforçant le rôle d’ambassadeur de l’orchestre. Le public va trier ce qui est plus important ».

Si l’engagement envers la musique française qui marquait le mandat de Charles Dutoit ne transparaît ni dans la liste de captations vidéo de Medici.tv ni dans le legs très épars des enregistrements chez Decca, Kent Nagano rétorque que : « Nous avons vu pas mal de changements dans la direction et les priorités de Decca, mais nous avons enregistré des projets de qualité et avons préservé la visibilité de l’OSM dans un format qui est en train de disparaître. »

La grande œuvre inachevée est à ses yeux l’Académie d’orchestre. « J’ai essayé très, très fort d’établir sous le parapluie de l’OSM une académie pour jeunes professionnels québécois pour les former dans la tradition symphonique après le Conservatoire. J’ai pensé que c’était important au XXIe siècle d’avoir, d’un côté, la maternelle dans la communauté et, de l’autre, l’académie pour la prochaine génération. On était en route. Il m’a manqué un peu de temps. » Le projet d’académie devait voir le jour à l’été 2015, alors qu’il était possible de l’arrimer à d’autres expériences préexistantes, tout comme pour la prématernelle et la maternelle musicales, qui avaient tardé, mais ont fini par se réaliser à une échelle moins ambitieuse que prévu. Pour ces dernières, l’OSM a-t-il songé à faire équipe avec le Garage à musique du Dr Julien ? Pourquoi toujours bâtir du neuf au lieu de construire avec des partenaires existant sur le terrain ? « Tout était lié à la tradition de l’OSM, qui était là avant que je vienne. C’est possible avec des collaborations. Nous avons essayé très fort plusieurs pistes et une de ces pistes était de faire quelque chose de neuf. Pour les maternelles, nous sommes en discussion avec le gouvernement pour développer cette politique. »

Dans l’optique du développement, Kent Nagano pense aussi que la Virée classique n’a pas atteint son plein potentiel et aurait souhaité lui rajouter une journée. À l’entendre parler de tous ces projets, nous demandons au chef s’il compte agir pour quelques années en tant que conseiller artistique, le temps qu’un nouveau chef soit nommé. Il sourit  « Non, cela veut dire qu’il y a du travail pour la prochaine génération. »

D’ailleurs, Kent Nagano ne se prononce pas sur le profil de son successeur : « Je me suis retiré de tout : l’absence de l’influence du passé est capitale et j’ai une totale confiance dans le fait que l’OSM mettra, par exemple, l’accent sur la qualité et pas sur la politique. J’ai été privilégié d’être bienvenu ici. Je reste dans la famille, même si je ne suis plus dans mon ancien rôle. » Assurément, nous allons le revoir !

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