La chanteuse Renée Claude est décédée

La chanteuse Renée Claude lors d'un spectacle au Metropolis à Montréal en novembre 2010
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir La chanteuse Renée Claude lors d'un spectacle au Metropolis à Montréal en novembre 2010

Renée Claude n’est plus. Une mort annoncée qui ne finit pas comme prévu. L’alzheimer, en dix ans, aura fait son œuvre, mais c’est la COVID-19 qui l’aura finalement emportée, dans le CHSLD où son état l’avait inexorablement menée. Un choc qui s’ajoute à la tristesse. Ce faisant, la grandissime interprète a trouvé, à 80 ans, « la seule vraie tranquillité / le grand repos / l’immobilité », comme elle le chantait dans Tu trouveras la paix, sur les mots et la musique de Stéphane Venne.

Née Renée Bélanger en 1939, elle était déjà interprète essentielle des chansonniers québécois à la fin des années 1950, déjà forte d’années d’apprentissage auprès des répertoires de Léo Ferré, de Georges Brassens, de Jacques Brel. On la voit à la télé dès 1959 dans l’émission Chez Clémence. Elle chante sur scène en première partie de la même Clémence DesRochers. Des fidélités qui dureront une vie. Une chanson de Jean-Pierre Ferland, Feuille de gui, puis une autre, La marquise-coton, la lancent durablement.

Renée Claude devient la muse des chansonniers Jean-Paul Filion, Hervé Brousseau, Claude Léveillée, Christine Charbonneau et Gilles Vigneault, et d’un tout jeune Sylvain Lelièvre. Elle revient souvent à Brassens et à Ferré, soutient Clémence et Ferland. C’est une chanteuse en mission. Son timbre si caractéristique, son phrasé clair, sa justesse de ton servent idéalement les textes et les mélodies, permettant au milieu chansonnier d’atteindre un plus grand public. Elle est notre Juliette Gréco à nous (jusqu’au nez légèrement refait), elle peut tout chanter noblement.

​La matière de la liberté

Michel Conte et, surtout, Stéphane Venne comprendront qu’avec elle, la chanson d’auteur pouvait franchir le Rubicon et conquérir les palmarès. Beau symbole, Venne lui écrit en 1965 une sorte de lettre d’intention : Qui donc me fera ma chanson ?. En 1967, Conte lui cisèle Shippagan, et c’est le succès : elle tourne en lever de rideau de la dernière tournée de Brel, chante au Tonight Show de Johnny Carson.

Les prix s’amoncellent : Venne prend le relais, lui fournit une matière qui semble émaner d’elle, et les grandes, très grandes chansons se suivent au sommet des classements, sans rien lui enlever de sa crédibilité d’interprète auprès des chansonniers : avant même L’Ostid’cho, elle réconcilie les genres, et la chanson québécoise de qualité n’a jamais autant rejoint les gens.

Ces chansons prennent valeur d’hymnes identitaires et féministes : C’est notre fête aujourd’hui, Le tour de la Terre, La rue de la Montagne, Tu trouveras la paix et tout particulièrement Le début d’un temps nouveau : « La moitié des gens n’ont pas trente ans / Les femmes font l’amour librement ». La muse des chansonniers est devenue l’héroïne d’une génération.

Avec le parolier Luc Plamondon (sur des musiques de Germain Gauthier, André Gagnon, Yves Laferrière, Michel Robidoux, Léon Aronson, Christian St-Roch, entre autres), elle ira plus loin encore : Ce soir je fais l’amour avec toi, La bagomane, Un gars comme toi célèbrent l’affranchissement sexuel, une vie sans contraintes. Il n’y aurait pas eu Diane Dufresne sans Renée Claude. Avec elle, tout devenait possible, y compris les excès.

L’euphorie des années 1970 s’éteint quelque peu au moment du premier référendum, en 1980. Renée Claude relance alors sa mission d’interprète et consacre un spectacle aux chansons de Clémence DesRochers : Moi, c’est Clémence que j’aime le mieux. Elle créera ainsi plusieurs spectacles centrés sur un répertoire, révélant la beauté mélodique d’un Brassens comme personne ne l’avait fait avant elle (J’ai rendez-vous avec vous, en 1981). Spectacles qu’elle alternera, ajoutant On a marché sur l’amour, florilège des chansons connues et moins connues de Ferré.

Dont Ne chantez pas la mort. « J’ai toujours en mémoire la mort de ma sœur, emportée il y a trois ans par un cancer », nous disait-elle en 1994. « Elle n’avait pas peur de la mort. C’est ma référence quand j’interprète Ne chantez pas la mort. Beaucoup de gens m’ont dit qu’ils avaient souvent, avec Ferré, deux réactions en même temps : ça rend triste et ça fait du bien. Ferré, c’est sain. »

Si elle enregistre encore des disques de chansons écrites pour elle, on sent qu’elle a trouvé sa meilleure place auprès de Clémence, Georges et Léo. Ainsi que Léveillée, avec lequel elle partage la scène le temps de Partenaires dans le crime. On la remarque avantageusement dans l’opéra Nelligan de Michel Tremblay et André Gagnon, l’interprète et l’actrice se parlent et s’enchantent.

Renée Claude se fera plus discrète au tournant du siècle, moins par sa propre volonté que par les avanies du métier, de plus en plus difficile pour les interprètes. À la Place des Arts, où elle occupait les grandes salles au début des années 1970, elle doit se contenter du fort beau mais modeste Studio-théâtre de 138 places (aujourd’hui la salle Claude-Léveillée). En 2006, elle offre Entre la Terre et le soleil – Renée Claude chante Luc Plamondon : la compilation a l’avantage de faire le tour de ce jardin, mais l’impact est moindre que pour son Ferré ou son Clémence.

Ballade pour mes vieux jours, la seule nouveauté du double album, signée Plamondon-Gagnon, annonce de loin une fin, qui viendra aussi lentement que la santé déclinera. « Pour mes vieux jours je voudrais / Que tous les hommes que j’ai aimés / Viennent s’asseoir à mes côtés / Dans un ancien salon de thé / Et que nous parlions tous ensemble / De ce que nous avons été. » C’est ce que feront tous ceux et celles qui ont aimé Renée Claude dans les jours qui viennent. Pour trouver la paix dans leur cœur.



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