Le compositeur Krzysztof Penderecki s’éteint

Penderecki avait une relation privilégiée avec l’OSM, qui a joué sa «Passion selon saint Luc» à Salzbourgen 2018.
Photo: Janek Skarzynski Agence France-Presse Penderecki avait une relation privilégiée avec l’OSM, qui a joué sa «Passion selon saint Luc» à Salzbourgen 2018.

Un très grand compositeur, qui a marqué les soixante dernières années de l’histoire de la musique, est décédé dimanche à Cracovie à l’âge de 86 ans des suites d’une longue maladie. Le Polonais Krzysztof Penderecki a traversé toutes les époques, et sa musique a balayé tous les genres.

Le grand public a probablement été mis en contact sans le savoir avec la musique la plus ardue de Penderecki, dans The Shining de Stanley Kubrick (Polymorphia, Utrenja) ou L’exorciste de William Friedkin (Polymorphia, encore). Un fil conducteur, celui de la mémoire, parcourt l’œuvre de ce surdoué qui, à l’âge de 25 ans, envoya anonymement et séparément trois pièces au concours des compositeurs polonais et glana les trois premiers prix.

Musique et mémoire

 

Le rapport de Penderecki à l’histoire est au départ le fruit du hasard. C’est en entendant l’enregistrement de son œuvre orchestrale composée pour la Tribune des compositeurs de l’UNESCO en 1961 qu’il en saisira la dimension émotionnelle et l’intitulera Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima.

Musique et mémoire se conjuguent de nombreuses manières. Lorsque le syndicat Solidarnosc lui commande une partition pour honorer les ouvriers morts pendant la mutinerie des chantiers navals de Gdansk, il composera un Lacrimosa. Son Dies Irae est sous-titré « Auschwitz Oratorium », son Concerto pour piano est dédié à la mémoire des victimes du 11 Septembre, et la France lui a commandé sa 4e Symphonie à l’occasion du bicentenaire de la Révolution de 1789.

On était loin de cela au début des années 1960, lorsque Penderecki, étrange apparition musicale du bloc de l’Est, était la coqueluche de l’avant-garde occidentale. Avec Anaklasis, en 1960, il avait mis le milieu de la musique contemporaine à ses pieds, avec la Passion selon saint Luc en 1966 et Les diables de Loudun, créé en 1969 à Hambourg, il avait obtenu estime et reconnaissance du public.

La trahison du « milieu »

Mais il est loin ce Penderecki-là. À partir de 1979 et sa 2e Symphonie, dans laquelle il cite le cantique « Douce nuit, sainte nuit », Penderecki tourne le dos à l’avant-garde et exprime, entre autres, sa foi chrétienne. Des critiques le traitent alors de « traître », et le compositeur Helmut Lachenmann le surnomme « Penderadetzky », jeu de mots qui l’associe à Johann Strauss. Lui dira : « Je ne compose pas pour les tiroirs. »

Dans cette dernière phase de sa carrière, Penderecki créera dans tous les genres, et notamment des concertos. Il nous donnera des chefs-d’œuvre, dont la 7e Symphonie, « Les 7 portes de Jérusalem », créée par Lorin Maazel en 1996. Petit à petit, devant l’évidence du génie, le milieu se ravisera. Le Festival Présence de Radio-France lui sera même consacré en 2016.

Penderecki avait une relation privilégiée avec l’OSM, qui a joué la Passion selon saint Luc à Salzbourg en 2018. L’OSM et Kent Nagano ont d’ailleurs diffusé un communiqué déplorant la « perte profondément émouvante pour tous ceux qui aiment la musique et la vie ».

Le Devoir a voulu recueillir de la part des deux derniers directeurs musicaux des souvenirs plus personnels. Charles Dutoit, dédicataire ému du Concerto Grosso pour 3 violoncelles, et qui avait rencontré Penderecki au Festival de Donaueschingen dès les années 1960, nous a écrit : « Penderecki est venu à Montréal au tout début de mon activité à l’OSM. Il a assisté à notre travail et était très enthousiaste. Je l’ai donc invité comme compositeur en résidence […]. Plus tard, nous avons joué sa 3e Symphonie en première audition à Montréal et, ensuite, en première audition aux États-Unis à Carnegie Hall. […]  J’ai toujours eu pour Krzysztof les plus grands respect, admiration et affection ainsi que pour sa merveilleuse épouse, Elzbieta. […] Bien sûr, Penderecki était un des plus grands compositeurs de notre époque et je garderai de l’homme et du musicien un souvenir indélébile. »

Kent Nagano a souligné quant à lui « la rare humilité et l’intégrité de Krzysztof Penderecki tout au long de sa vie ». « Le succès change souvent les hommes, et pas toujours en bien. Il est resté foncièrement honnête, simple et profondément voué à la musique. » Nagano se souvient du retour en voiture après la répétition de la Passion selon saint Luc à Cracovie. En réponse à ses demandes de corrections et de suggestions, Penderecki lui répondit que l’interprétation était « si transparente, texturée, contrastée et subtile qu’il lui semblait entendre l’œuvre pour la première fois » au point de vérifier dans la partition ce qu’il avait écrit. « C’était un homme spécial et un génie créatif. Il va nous manquer. »

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