Le «Don Giovanni» d’Ivo van Hove et ses Québécois

L’Opéra de Paris met à disposition des internautes à compter de ce jour sur son site Internet la captation de la représentation de Don Giovanni filmée au Palais Garnier en juin 2019. Le spectacle ne se distingue pas seulement par la mise en scène d’Ivo van Hove, mais aussi parce que le tandem sur lequel il repose est québécois.
Étienne Dupuis en Don Giovanni, Philippe Sly en Leporello : deux chanteurs de chez nous piliers du Don Giovanni de l’Opéra de Paris ! Qui aurait imaginé cela il y a quinze ans ? S’il fallait trouver un emblème du raz de marée qui a déferlé sur les scènes mondiales en moins de deux décennies ce serait sans doute le plus beau, avec le Così fan tutte au même endroit, en 2017, où la moitié de la distribution (Michèle Losier, Frédéric Antoun, Philippe Sly) était québécoise. À ces noms il faut évidemment ajouter ceux de Marie-Nicole Lemieux, de Jean-François Lapointe, de Julie Boulianne et de plusieurs autres, parfois quasi à peine connus chez nous, comme Éric Laporte, un vrai Heldentenor— ténor héroïque, capable de chanter Wagner — actif sur les scènes allemandes.
Un spectacle oppressant
Pouvoir accéder au Don Giovanni de l’Opéra de Paris est un grand privilège. Il n’a pas été édité en DVD et n’a été diffusé que ponctuellement au cinéma il y a neuf mois. Par ailleurs, par le jeu des coproductions, cette mise en scène d’Ivo van Hove sera le futur Don Giovanni du Metropolitan Opera, dont la retransmission dans les cinémas, avec une autre distribution, est prévue la saison prochaine. Pour les habitués de l’exercice, ce sera aussi une intéressante occasion de comparer la manière de capter un spectacle d’opéra en Europe (admirable travail de Don Kent) et aux États-Unis.
Belge, âgé de 61 ans, Ivo van Hove est l’un des metteurs en scène les plus recherchés de l’heure. Il est très actif au théâtre, et on se souvient à Montréal et à Québec de son adaptation de trois tragédies romaines de Shakespeare (Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre) en 2010 et de Kings of War, d'après Shakespeare en 2017 au théâtre Denise-Pelletier dans le cadre du Festival TransAmériques.
Son Don Giovanni fonctionne dans un dispositif gris oppressant, subtilement éclairé, fait de balcons, d’escaliers et de ruelles habilement conçu par Jan Versweyveld. Le personnage de Don Giovanni se fond dans ce décor et opère dans la pénombre. Son emprise tyrannique sur les êtres plombe leur vie au point que, quand le héros sera damné, ce cadre reprendra aussitôt des couleurs.
Don Giovanni n’est pas un obsédé sexuel, mais un être qui rejette les conventions. Van Hove introduit également les idéaux révolutionnaires chers à Mozart, et présents dans Les noces de Figaro, lorsque, lors du dîner final, Leporello se saisit du verre de vin de son maître et met les pieds sur la table. Très intéressant et intelligent spectacle donc, superbement chanté par une équipe jeune.
Dupuis et Sly sont entourés de Jacquelyn Wagner en Donna Anna, correctement cinglante, et Nicole Car en Donna Elvira, d’Elsa Dreisig qui joue une Zerlina plus curieuse que soumise, Mikhail Timoshenko en Masetto, Stanislas de Barbeyrac, superbe mais dont la voix se fait lourde pour Ottavio, et Ain Anger en Commandeur. La direction musicale est assurée par Philippe Jordan. L’Opéra de Paris met en ligne le spectacle à 14 h 30, heure de Montréal, lundi. Il sera disponible jusqu’au dimanche 29 mars.
Profitons de l’occasion pour donner le menu des autres scènes virtuelles. L’Opéra de Munich propose en ce moment Le trouvère, de Verdi, avec Jonas Kaufmann et Anja Harteros et mis en scène par Olivier Py, et Le château de Barbe Bleue, de Bartók, avec Nina Stemme et John Lundgren.
Contrairement à Paris et à Munich, les opéras de Vienne, de Berlin et de New York changent d’opéra chaque jour. New York nous a concocté une semaine Wagner avec Tristan et Isolde (Rattle, 2016), les quatre journées du Ring de Robert Lepage, entre mardi et vendredi, puis les Maîtres-chanteurs samedi et Tannhäuser dimanche. Berlin débute avec du ballet (Casse-noisette et Lac des cygnes) et reprend l’opéra mercredi avec Falstaff, Hippolyte et Aricie, Carmen, Macbeth et Manon, tous dirigés par Daniel Barenboïm, sauf l’opéra de Rameau confié à Simon Rattle.
Enfin, le pionnier de cette initiative, l’Opéra de Vienne, qui rend les spectacles disponibles pendant 72 heures et offre des sous-titres en huit langues, aligne Tosca (avec Sondra Radvanovsky), L’élixir d’amour, La Cenerentola, une autre Tosca, Les noces de Figaro, Le crépuscule des Dieux et Roméo et Juliette, de Gounod, avec Juan Diego Florez en Roméo.
Les wagnériens auront donc un Crépuscule des dieux de New York, vendredi, et un autre, viennois, datant de 2019, samedi. Afin de nous rappeler que les temps sont durs !