«La vie parisienne»: on y court!

Comment se fait-il que la salle Claude-Champagne n’était pas bondée pour la première de La vie parisienne d’Offenbach ? Il faut pourtant s’en remettre aux spectacles universitaires ou de compagnies spécialisées puisque l’Opéra de Montréal ne prend pas ce répertoire majeur et irrésistible au sérieux. Alors allons au moins goûter aujourd’hui ou demain cette formidable musique, menée avec tenue et entrain par Jean-François Rivest, à la tête d’un Orchestre de l’Université de Montréal en excellente forme. Quel bonheur que de voir le chef faire ainsi « monter la mayonnaise musicale », par exemple dans une fulgurante fin d’Acte III, lorsque les domestiques de Bobinet enivrent le baron de Gondremarck.
Un choix avisé
Par ailleurs, le spectacle très soigné, avec une scénographique astucieuse de Carl Pelletier qui permet un changement de décor facile d’un acte à l’autre, ne nous fait aucunement regretter les moyens plus importants d’une grande maison. Nous avons ici du Offenbach monté avec sérieux et drôlerie par Alain Gauthier (fort à l’aise de changer d’univers après Written on Skin) et bien rythmé au niveau scénique et musical. Que demander de mieux ?
La vie parisienne est, en plus, un ouvrage fort intéressant pour un vivier estudiantin, avec, certes, un petit défaut, sa gourmandise en ténors avec des rôles de comparses (Joseph, le majordome de Raoul ; Prosper, domestique de Bobinet et Gontran le nouvel amant de Métella qui n’a qu’une petite intervention) et trois rôles exposés : Raoul de Gardefeu, qui « porte » l’ouvrage, ainsi que le Brésilien et Frick, le bottier, qui colorent l’action. Hélas, l’Université de Montréal (UdeM) pour ces six emplois ne disposait que d’un ténor de niveau : l’admirable Emmanuel Hasler, distribué en Raoul.
Sur le fond il est difficile de présenter cette opérette « sans » Brésilien. C’est un rôle emblématique, il chante l’air le plus connu et il lance la grande apothéose. En la matière, vu l’état du vivier disponible, il aurait été avisé de cimenter le spectacle par l’embauche d’un chanteur invité, ce que l’UdM, comme McGill, fait de temps en temps (d’ailleurs pas plus tard que ce soir avec Pierre Rancourt qui incarnera le baron).
L’intérêt de l’oeuvre est, donc, le nombre de rôles offerts, ce qui permet une vaste revue d’effectifs. Cette large distribution est marquée par quatre chanteurs : Emmanuel Hasler, ténor clair, à la forte présence en Raoul ; la soprano Agnès Ménard, dans le rôle de la gantière Gabrielle, qui a très bien réussi, notamment, son couplet de la veuve du colonel et s’est imposée petit à petit ; Dominic Veilleux, un baryton qui a bien assuré le rôle du baron de Gondremarck et Juliette Tacchino, impeccable dans le rôle de la soubrette Pauline et excellente actrice.
Mélissa Zerbib plafonne un peu dans les aigus du rôle de la baronne, Camille Brault incarne honorablement Métella alors que le Bobinet de David Turcotte s’étiole au fur et à mesure de l’avancée du spectacle. Rien de notable dans les rôles de comparses, sauf Queen Hezumuryango-Dushime, chanteuse d’une belle présence, à réentendre.
Malgré un plateau irrégulier, le spectacle, resitué dans l’immédiate après-Guerre, est extrêmement plaisant pour son rythme soutenu, pour les intarissables mélodies d’Offenbach et l’admirable soin mis à sa réalisation. Il ne faut pas non plus oublier, qu’à l’origine et très souvent, même au XXe ou XXIe siècle, ce type d’ouvrage a été défendu par des acteurs chanteurs. On n’est donc pas forcément dans une évaluation de bel canto puccinien. Cela dit, certains ont une voix, d’autres pas. Et ça, on est bien obligé de le constater.