Une somptueuse «Symphonie pastorale»

Cette Pastorale de 2020 était une synthèse heureuse et bienvenue de l’héritage beethovénien laissé par Kent Nagano.
Photo: Antoine Saito Cette Pastorale de 2020 était une synthèse heureuse et bienvenue de l’héritage beethovénien laissé par Kent Nagano.

Lors de ce concert dédié à la mémoire de Jacques Ménard, membre du comité exécutif de l’OSM et trésorier de l’institution pendant onze saisons, Kent Nagano et Olivier Latry présentaient au public la nouvelle oeuvre du compositeur français Pascal Dusapin, créée le 26 janvier dernier à Hambourg par Kent Nagano.

C’est pourtant une programmation a priori anodine, une reprise de la Symphonie pastorale de Beethoven, déjà donnée à plusieurs reprises, et dernièrement lors du cycle Beethoven de mai 2018, qui a fini par voler la vedette à cette création nord-américaine.

Il s’est vraiment passé quelque chose de très vivant et chaleureux, nous dirons même d’imprévisible, lors de cette exécution. Par exemple ce dernier tutti emballé par Kent Nagano à la fin du 1er mouvement que tout l’orchestre ne suivait pas forcément avec la fièvre voulue par le chef. Mais peu importait, car on sentait il y avait là un geste fougueux spontané, un moment pas tout à fait prévu. C’est si rare… Si précieux…

Pareillement avec l’orage. En relisant la critique de mai 2018 il n’y a aucun doute qu’il ne sonnait alors pas comme cela, avec ces ruades de timbales en crescendo, admirablement sèches et découpées. Et pourtant il s’agissait du même percussionniste.

En fait, cette Pastorale de 2020 était une synthèse heureuse et bienvenue de l’héritage beethovénien laissé par Kent Nagano. Un bel apport. Le chef avait réuni tous les éléments, notamment les effectifs, plus substantiels qu’en 2018, et la disposition sur scène. Les trompettes ne perçaient pas le tissu orchestral et le retour de Tim Hutchins à la flûte était source de bonheur sans nom. Seuls les cors manquaient de relief dans le 5e mouvement, mais, partout, la musique chantait et coulait pour notre plus grand bonheur.

Une oeuvre complexe

 

Pas moins de six organismes (des orchestres à Montréal, Hambourg, Paris, Bruxelles, Genève, plus Radio-France) ont dû se rassembler pour passer commande à Dusapin d’une composition de 25 minutes qui n’est pas, dans sa dénomination, un concerto, mais un duo pour orgue et orchestre. Cette appellation est juste car il n’y a pas à proprement parler de dialogue mais davantage un continuum fusionnel et symbiotique d’éruptions et de ressacs dans le cadre d’une orchestration érudite.

Il faudrait plusieurs auditions pour percevoir mieux les ressorts structurels qui doivent forcément avoir une logique, Dusapin étant un émule de Xenakis, donc un esprit mathématique. D’ailleurs son livre Une musique en train de se faire (Édition du seuil) comprend un chapitre intéressant sur « Chaos et catastrophe », exposant la théorie des catastrophes du mathématicien René Thom, théorie qui « tente de décrire et classer les situations dans lesquelles une série de changements infimes entraîne un déséquilibre et une brisure de la continuité d’un système étudié : une catastrophe ». Y avait-il de cela dans ces vagues et ces ruptures ? Le texte de présentation ne faisait pas un tel lien en tout cas.

Des nouvelles oeuvres pour orgue et orchestre présentées à Montréal, Dusapin est sans doute aussi étudié que Saariaho mais plus accessible. Cela dit, A Globe Itself Infolding de Samy Moussa reste sans doute l’oeuvre la plus parlante et chatoyante.

Le concert s’ouvrait sur une très belle Chasse royale et orage de Berlioz qui disait déjà tout des bonnes dispositions de tous les protagonistes pour la soirée. L’OSM y avait ajouté deux octobasses à sa panoplie. Dans le genre, c’est utile : trois sonnent davantage qu’une (qu’on entendait très marginalement) et placées à gauche elles sont plus efficaces acoustiquement qu’à droite.

Kent Nagano dirige Dusapin et Beethoven

Berlioz : Chasse royale et orage, extrait des Troyens. Dusapin : Waves, duo pour orgue et orchestre. Beethoven : Symphonie n° 6, « Pastorale ». Olivier Latry (orgue), Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano. Maison Symphonique, mardi 18 février 2020. Reprise jeudi.

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