Gaffigan-Lisiecki: une soirée superficielle

La saison dernière et celle en cours à l’OSM nous valent des soirées exaltantes de découvertes de chefs fort intéressants qui concourent pour le remplacement de Kent Nagano. James Gaffigan fait-il partie des pressentis ? Nous n’en savons rien, mais s’il en était il ne le restera pas longtemps, car il ne s’est strictement rien passé mercredi soir, contrairement à la récente venue du jeune Suisse Lorenzo Viotti.
Le temps passe vite. Il y a 10 ans l’Américain James Gaffigan (40 ans désormais) était, avec l’Anglais Robin Ticciati et l’Espagnol Pablo Heras Casado, « le » jeune de l’avenir que tous les orchestres voulaient tester et tous les observateurs voyaient promis au plus brillant avenir. Aujourd’hui il est en poste à Lucerne et sur les rangs un peu partout. À Montréal la soirée a débuté avec une opulente et courte pièce contemporaine générique, à la très belle conclusion, déjà présentée ici par l’Orchestre symphonique de Toronto en 2014. Tout cela était très bien mis en place.
Désolant Mozart
Les problèmes sont venus après. Avec d’abord une 40e Symphonie de Mozart d’une inanité esthétique assez consternante. Oeuvre en sol mineur, foncièrement tragique, son dramatisme repose sur l’opposition entre les nuances piano et forte. La mécanique du contraste instantané constitue notamment l’ossature du 1er mouvement. Si les pianos remontent à mezzo forte et que les attaques des forte sont molles, le propos devient creux. Sans forcément en faire du théâtre comme Nikolaus Harnoncourt, il y a moyen de rendre justice à l’esprit de l’oeuvre.
James Gaffigan a montré dans le 2e mouvement ce qu’il a confirmé par la suite dans Brahms : il est un cartésien qui fuit toute effusion, voire toute cordialité. Mais la pulsation de cet Andante était bien soutenue. Dans le 3e mouvement les vents ont phrasé à plat leurs interventions du trio. La très bonne nouvelle du Finale était que le chef y omettait la reprise ce qui en a écourté la médiocrité incarnée par des dérapages de cors, largement relayés par des impuretés des vents et un manque de mordant dans l’articulation des cordes graves. Aucun intérêt de programmer Mozart si c’est pour le jouer comme cela après le superbe mini-festival assuré par Hervé Niquet et Bernard Labadie il y a quelques mois.
Brahms déphasé
Le 1er Concerto de Brahms était particulièrement intéressant à jauger, puisque les pianistes qu’on y a entendus récemment (Beatrice Rana, Charles Richard-Hamelin) sont de la même catégorie d’âge que Jan Lisiecki. Des trois, Jan Lisiecki, en dépit de l’accueil enthousiaste qui lui a été réservé, a été de très loin le moins intéressant, le moins propre pianistiquement aussi, dans les nombreuses cascades d’accords, par exemple au 1er mouvement quand le piano reprend le thème de l’introduction orchestrale.
Bien plus que cela, la conception interprétative du soliste et du chef était largement bancale. S’étaient-ils vus avant ? Si oui et si Gaffigan a dirigé ainsi (vite et avec rectitude) avec l’assentiment de Lisiecki, ce dernier a-t-il vraiment saisi à quel point ce que lui-même jouait n’allait pas du tout avec ce que faisait l’orchestre ?
Cohérent avec ce qui semble sa démarche musicale générale, Gaffigan filait droit. Les thèmes dits « féminins » n’étaient point trop ralentis, les phrasés plutôt linéaires. Or, tant dans le 1er que dans le 2e mouvement, il a fallu moins de 20 notes à Lisiecki pour rompre le flux et l’ambiance en installant autre chose avec un type de phrasé différent, un rubato plus creusé. Quand il avait plus longuement la parole dans le mouvement lent, Lisiecki n’avait de cesse de ralentir le tempo de base chantant instauré par le chef. La situation la plus gênante survient lorsque deux phrases identiques, écrites pareillement, se succédant une fois à l’orchestre et une fois au piano, sont phrasées différemment. C’est arrivé.
Mais le point qui différencie Lisiecki de Beatrice Rana et Charles Richard-Hamelin c’est la production sonore. Lisiecki a des attaques très fines, joue de fort jolies nuances, mais le son est produit de la main, du poignet et, au mieux, de l’avant-bras de manière très « verticalo-percussive ». Or Brahms, à l’image de Claudio Arrau, le plus grand interprète de l’histoire de ce concerto, gagne à être joué par des pianistes dont le son naît dans le bassin, le torse, les épaules et semble venir de la terre, avec une « patte » gauche beaucoup plus creusée.
Bref c’était la soirée de la superficialité. Elle a fini avec un rappel : l’Aria des Variations Goldberg de Bach devant une salle qui s’était déjà assez vidée.