Les grandes échappées de Jean-Marie Zeitouni

Jean-Marie Zeitouni et I Musici ont judicieusement et audacieusement développé ce que Yuli Turovsky avait jadis lancé comme les « Concerts Ogilvy », programmes donnés de jour (à 11 h et 18 h, désormais) sans entracte. Le chef a trouvé à la salle Bourgie un dispositif dans lequel l’orchestre est entouré par le public, placé au même niveau que lui.
Le programme de jeudi dérogeait à cette règle en raison de l’imposante section de percussions exigée par les oeuvres de Pärt et Corigliano. Oui, deux oeuvres contemporaines, car les axes de programmation de Jean-Marie Zeitouni pour cette série des « Concertini » est de favoriser les jeunes artistes et les répertoires moins fréquentés.
Le public a suivi cette proposition, qui réparait une injustice relevée par Le Devoir en août 2018. En commentant le CD ECM de ses Symphonies nos 1 à 4, nous écrivions : « Quoi qu’on pense de lui, considérant qu’Arvo Pärt est sans doute le compositeur le plus en vue au monde et qu’il a composé en 2008 sa première symphonie depuis 37 ans, est-il normal que nous ne l’ayons toujours pas entendue ici ? »
Les mots comptent toujours : « Quoi qu’on pense de lui… » Ce que nous pensons d’Arvo Pärt est qu’il a un style, le fameux tintinnabulisme, qui le rend reconnaissable entre tous. Que ce style déclenche chez les uns une forme d’hypnose, et chez les autres une sorte d’exaspération. Que la 4e Symphonie, très étale, tire beaucoup sur la corde en matière de patience nécessaire à son appréciation. Enfin, que le propos (une symphonie « anti-Poutine », en soutien à l’ancien opposant Mikhaïl Khodorkovski et « à tous les prisonniers sans droits en Russie ») ne semble qu’un vague prétexte tant il transparaît peu dans cette suite d’adagios.
Souci de lisibilité
Deux versions discographiques documentent cette symphonie : celle du créateur, Esa-Pekka Salonen, et celle de l’ami et spécialiste de Pärt, Tonu Kaljuste. Jean-Marie Zeitouni épouse la vision plus lente de Salonen, qui accorde beaucoup d’importance aux silences, notamment dans le 2e volet, des questions inlassablement posées. Comme nous l’avions écrit, en fluidifiant les temps, Kaljuste met l’accent sur le chant (les racines orthodoxes), universalise le propos et facilite l’accès pour les auditeurs. I Musici s’est beaucoup appliqué à rendre lisible ce canevas très étudié.
La première oeuvre, la Suite du Violon rouge de John Corigliano, nous apportait une nouvelle éclatante preuve que le violoniste Kerson Leong a réussi une spectaculaire mutation de l’enfant prodige au virtuose aguerri et à l’artiste accompli. Chacune de ses visites est un immense bonheur : pureté de l’intonation, brillance des aigus, puissance du son, résonance de la corde de sol sont supérieures à ce qu’on entend de la part de maints solistes consacrés engagés ici. Leong, qui a fait ses débuts avec I Musici à l’âge de 7 ans, a interprété la musique du film sous forme de suite, alors que Corigliano en fit ensuite un concerto en bonne et due forme.
La musique, très bien écrite pour l’instrument et atmosphérique sans condescendance, tient encore très bien la route. Par rapport à un créateur tel que Peteris Vasks, on dira que Corigliano a un très grand talent mais pas tout à fait le génie. Cela dit, grâce à l’aura et au titre frappant du film, son oeuvre est davantage jouée.