Bach, le geste et la parole

L'église Saint-Jean-Baptiste était remplie à pleine capacité pour la «Messe en si» dirigée par le chef italien Andrea Marcon.
Photo: Tam Photography L'église Saint-Jean-Baptiste était remplie à pleine capacité pour la «Messe en si» dirigée par le chef italien Andrea Marcon.

Le très réputé chef italien Andrea Marcon était l'hôte d'Arion et du Studio de musique ancienne pour ce projet prestigieux de la Messe en si donnée dans le cadre du Festival Bach 2019. L'affiche a rempli l'église Saint-Jean-Baptiste à pleine capacité (3000 personnes, nous a-t-on dit) avec une déception à l'appui pour certains, puisque le fameux contreténor Carlos Mena, malade, n'avait pu faire le voyage. Il était la vedette de la distribution et a été remplacé par une choriste, tel que listée dans le programme imprimé, promue « alto soliste de grand talent » dans le feuillet qui y a été rajouté.

Le point positif marquant que nous retiendrons de cette Messe en si d'Andrea Marcon c'est ce « Crucifixus », où les coups d'archets étaient assénés comme des clous plantés dans la chair. Le geste du chef y était expressif, violent, et l'auditeur sentait tout de suite de quoi il en retournait.

Exprimer sans parler

 

Le geste dit beaucoup. Il trahit aussi. À l'épreuve du concert, Andrea Marcon fait partie, avec René Jacobs, des mystères du monde musical. Comment des musiciens avec une gestique aussi sommaire et inexpressive (grosso modo des va-et-vient verticaux parallèles et quelques moulinets) que Jacobs ou Marcon ont-ils pu accoucher d'une discographie aussi intéressante ?

Dans la Messe en si, qu'on le veuille ou non, la verticalité du geste, ses saccades, sont un frein à l'épanchement des longues lignes chorales, à la chaleur et à la variété de l'expression. À part le « Crucifixus », il y eut un seul autre grand passage de doute et de douleur, involontaire hélas : le « Benedictus ». Le pauvre ténor, Richard Resch, qui, déjà, n'a pas la voix assez lumineuse pour cela, y était tellement cuit et perdu, qu'on souffrait pour lui.

Comment le ténor soliste, qui n'a pas un monceau de travail peut-il être « cuit » au « Benedictus »? Excellente question ! En fait, la principale caractéristique de la Messe en si selon Andrea Marcon est une mobilisation des solistes au-delà des parties solistes habituelles.

Un choix discutable

 

Le chef opère une incessante alternance entre les solistes et le choeur dans les passages choraux. Il le fait parfois pour des raisons esthétiques (Kyrie), parfois lorsque une vocalise difficile lui semble plus facile à négocier par le « concertino » (petit ensemble, par opposition au tutti).

La question esthétique, hors même de toute discussion musicologique (théorie de Rifkin sur le « choeur de solistes »), est de savoir si cela apporte quelque chose et si la démarche est consistante. Le doute nous assaille à trois reprises en lien avec le message théologique. Quelle est la révolution du christianisme ? Elle se résume en une phrase : « Et le Verbe s'est fait chair » On n'ergotera pas sur la traduction. Mais l'idée de chair, « sarx » en grec, « carne » en latin est capitale. Cette idée on y croit, « Credo », avec confiance (« Confiteor »).

Lancer l'affirmation « Credo » par des solistes, même si la réaffirmation se fait par le choeur est très décevante et pas très convaincant. Dans le « Confiteor », plus loin, il y a une ligne scandée qui s'appelle un cantus firmus. Voir ce cantus firmus passer d'une basse soliste à un pupitre de ténors, avec variétés d'intensités à l'avenant, n'a pas de sens en termes de délivrance de la Parole. Le cantus firmus est un roc inébranlable et constant.

Et on arrive à la chair ! « Et incarnatus est » chanté par les solistes suivi de « Crucifixus » par le choeur alors que les deux sont destinés au choeur. Problème : il y a une arche qui mène des premières paroles « Et incarnatus est » aux dernières « Et sepultus est ». C'est la vie du Christ en 2 minutes : il faut que ce soit les mêmes qui la racontent !

Bref, on n'a pas vraiment gobé les petites mises en perspectives d'Andrea Marcon, on a regretté que sa vision soit assez univoque, c'est-à-dire énergico-optimiste avec des points culminants dans des choeurs « vivace » explosifs. Mais mieux valait ne pas trop gratter. Car si on grattait, on entendait une soprano I dire « Kyriééé » à côté d'une soprano II prononçant « Kyriêêê », les deux disant « élèison », un mot que le choeur prononçait « éléison ». Côté solistes, tous d'importation, rien de spécial. La remplaçante a fait ce qu'elle pouvait. Le choeur a chanté au mieux ce que le chef dirigeait devant lui.

Bach - Messe en si

Studio de musique ancienne de Montréal, Arion Orchestre baroque, Andrea Marcon. Église Saint-Jean-Baptiste, vendredi 29 novembre 2019.

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