Bruckner pétaradant

L’Orchestre symphonique de Montréal a choisi la 4e Symphonie de Bruckner comme plat de résistance du concert suivant le retour de tournée où l’OM a triomphé dans cette oeuvre. Si c’est un hasard, il est malencontreux. Si c’est délibéré, le choix se voudrait forcément une démonstration. Mais qu'y aurait-il à démontrer ?
Puisque comparaison il y a, faisons-la. La situation est délicate pour le critique qui a suivi la tournée américaine de Yannick Nézet-Séguin et sa famille musicale québécoise, car il s’agit de se replonger non dans l’émotion de Carnegie Hall mais, par équité, de mesurer le concert de l’OSM à celui de l'OM à la Maison symphonique du dimanche 17 novembre.
Par contre, l'expérience récente a du bon, puisque c'est notre sixième Quatrième de Bruckner en concert en 10 jours, ce à quoi il faut ajouter les répétitions et les écoutes de documents enregistrés. Les oreilles sont donc affutées. Le fait que Kent Nagano utilise la partition de Nowak, alors que Yannick Nézet-Séguin opte pour celle de Haas n'a qu'une incidence marginale.
Bien de son continent
Dans cette juxtaposition, l'Orchestre symphonique de Montréal a plusieurs atouts à faire valoir. Le corpus des cordes est plus fourni, ce que l'engagement physique forcené des musiciens de l'OM compense plus que largement (par exemple dans la séquence de la grande section des altos avec pizzicatos des violons au 2e mouvement ou dans le Finale). Par contre, quand aux sept contrebasses (contre 5 à l'OM) vient s'ajouter l'octobasse dans deux points stratégiques des 2e et 4e mouvements, le grondement de cordes graves est assez imbattable.
De même, au premier mouvement, le groupe des cors de l'OSM était impressionnant, même si, dans les solos, nous préférons la poésie nuancée de Louis-Philippe Marsolais, le 1er cor de l'OM. Cette puissance collective s'est étiolée au 4e mouvement. Très beau travail aussi d'Andreï Malachenko aux timbales.
Pour le reste, la suprématie de la lecture de Yannick Nézet-Séguin et de l'OM a été très notable, ne serait-ce que sur un simple et évident critère : la balance des cuivres (cors, trompettes, trombones, tuba). À l'OSM, elle est déséquilibrée au profit de trompettes (notamment la première) perçantes, dures et pétaradantes, qui trouent la polyphonie jusque par moments dans le mouvement lent, où le cuivré s'immisce entre les cordes et les bois. C'est cette « vulgarité sonore » qu'on assimile communément à un « son américain » et qui fait que le connaisseur n'a pas envie d'entendre du Bruckner avec nombre d'orchestres américains, sauf à Pittsburgh par exemple, le plus européen des orchestres américains.
Jouer ensemble
Le second bémol tient au mot « jouer » et à la circulation des phrases entre les pupitres. La Quatrième de l'OM repose pleinement sur cette écoute mutuelle et ces interactions, alors qu'à l'OSM, il reste beaucoup à faire dans la manière ludique d'aborder la musique permettant d'entendre par exemple dans le 3e mouvement un continuum entre le début d'une phrase aux 2e violons et sa conclusion aux cors, chaque pupitre jouant son bloc de phrase très proprement de son côté. Au chapitre des manquements à la fusion collective, il y a aussi la flûte (le remplaçant de Tim Hutchins) qui semble se sentir investie d'une mission, attire la lumière et transforme maintes interventions en quasi concertos.
Dans son approche, Kent Nagano vise et atteint l'équilibre architectural, mais creuse moins les nuances (c'est patent après 15 secondes) et la potentielle tendresse des idées musicales que Yannick Nézet-Séguin. Le mouvement lent ne veut pas dire grand chose et la coda de l'oeuvre est d'une froideur rarement entendue.
Tout cela nous fait vraiment regretter d'avoir manqué Gustavo Dudamel et Los Angeles à New York, dimanche (nous étions à Philadelphie), car nous aurions vraiment aimé comparer la manière brucknérienne des deux orchestres, sans doute beaucoup plus proche, finalement, que celle des deux phalanges montréalaises.
En première partie, Kent Nagano offrait un superbe accompagnement dans la Sérénade de Bernstein à son violon solo Andrew Wan, au son moelleux, et aux nuances très subtiles. Le petit bijou, où tout le monde était à sa place, trouvera son écrin prochainement : un disque Analekta complété par une nouvelle oeuvre de Samy Moussa enregistrée jeudi matin.