Laurence Nerbonne au Club Soda: les bons crampons

De la parution de son second album Feu en avril dernier jusqu’à cette première tête d’affiche au Club Soda, on aura somme toute peu vu Laurence Nerbonne sur une scène montréalaise, et malheureusement peu d’admirateurs l’auront vu hier soir aussi. « Y’a plein de gens qui m’ont dit qu’ils ne viendraient pas parce qu’ils ont la grippe », regrettait la musicienne en début de concert. D’ailleurs, elle-même combattait le damné virus, « on m’a dit que ça me donnait une voix sexy ». La soirée n’a heureusement pas manqué d’ambiance avec ce parterre malgré tout garni et dansant sur ses chansons franchement contagieuses.
Le socle est solide, même si la performance n’est pas encore à point. Ce socle, c’est un répertoire de sacrées bonnes chansons pop destinées à jouer sur les radios commerciales, mais écrites avec intelligence et un flair pour les tendances de l’heure. Laurence Nerbonne demeure de surcroît une exception dans le paysage pop québécois, elle qui parvient naturellement à malaxer rythmes électroniques, refrains accrocheurs et influences rap contemporain, un équilibre atteint sur ce deuxième album plus coriace et teigneux que le XO d’il y a trois ans et demi.
Hier soir, Nerbonne s’était entourée d’une équipe pour en mettre plein la vue à son premier Club Soda. Passée la première partie assurée par le compositeur et DJ Tommy Kruise, les lumières se sont doucement allumées pour révéler ses trois musiciens (Joseph Perreault à la batterie, Vithou Thurber aux claviers, la polyvalente Amélie Mandeville à la basse et aux claviers) ainsi que les quatre danseuses qui l’ont entouré pour Ride Alone, trap aux basses caverneuses serti d’un refrain porteur illuminé par la chorégraphie. Avec les projections derrière et le jeu de lumières dynamique, il y avait dans ce bref instant la semence d’un spectacle imaginé, rêvé sans doute, pour une foule d’aréna. L’enchaînement avec Rebound, d’influence trap encore, mais soutenue par une rythmique plus propulsive, était à point.
Reste que la suite de cette première portion de spectacle tira mal profit de l’impulsion de départ – mettons cela sur le dos d’une grippe combinée à la nervosité évidente de la musicienne. Revisitant les rythmiques house-pop du premier disque, Laurence Nerbonne a enchaîné On s’en va où avec ses succès Montréal XO et Si ton coeur bat. Ç'a animé le parterre qui chantait en choeur avec elle, mais c’eut aussi été une sacrée belle cartouche à garder en finale.
C’est que l’enchaînement des chansons semblait manquer de calibrage. Tracer sur scène une trajectoire narrative cohérente entre la pop dansante qui l’a fait connaître et le rap frondeur qui la nourrit désormais semble plus délicat qu’il n’y paraît ; la présence des danseuses, pendant Money Ca$h par exemple (avec une pluie de billets versés dans la foule), contribue à soutenir une initiative, mais replonger peu après dans des chansons plus douillettes finissent par casser le rythme, celui-ci étant l’un des carburants du répertoire de la musicienne, qui compose et réalise ses propres productions.
Question de calibre, donc. Entendre cette pop comme on observe une course de Formule 1, un bolide destiné à arriver le premier au fil d’arrivée. Pour y arriver, faire le changement de pneus au moment opportun. Au milieu du concert, Laurence Nerbonne a sorti ses pneus d’hiver aux crampons mordants pour partir en trombe avec l’impeccable Fausses idoles, suivie du remix de Feu, et ça canardait. La grippe en a pris pour son rhume, sa voix n’était plus du tout sexy, elle était impériale, commandant la foule devant elle. La musicienne avait gardé le meilleur, et son énergie, pour la fin : cette La Nuit est à nous (de la version «deluxe» de XO) était du bonbon house, mais la révélation fut l’inédite Première ministre interprétée sans doute pour la première fois hier soir. Une rythmique trap clinquante et bondissante, un texte coup-de-poing, peut-être son meilleur rap qu’elle réservera pour la version «deluxe» de Feu. Entre-temps, on lui souhaite de nombreux autres concerts et l’expérience de scène qu’elle gagnera à les faire.