L’OSM aborde l'œuvre de John Adams dans un nouveau disque

L’Orchestre symphonique de Montréal et Kent Nagano viennent de publier leur quatrième enregistrement chez Decca. The John Adams Album couple Harmonielehre, ample œuvre phare du compositeur, à Common Tones in Simple Time et Short Ride in a Fast Machine.
Harmonielehre, de 1985, qui tire son nom du Traité d’harmonie d’Arnold Schoenberg, fait son chemin dans le répertoire symphonique, puisque c’en est déjà le sixième enregistrement après ceux d’Edo De Waart, Simon Rattle, Michael Tilson Thomas, Peter Oundjian et Adams lui-même.
John Adams, né en 1947, est affilié à la musique américaine dite minimaliste, fondée sur une technique que l’on pourrait synthétiser par le concept de répétition subtilement évolutive. Ce minimalisme a été principalement développé par trois compositeurs nés dix ans avant lui : Terry Riley, Philipp Glass et Steve Reich.
La première intuition majeure d’Adams a été, à l’heure où la musique contemporaine privilégiait les ensembles de petite ou moyenne taille, de ne pas se couper des formations symphoniques. La très grande habileté d’Adams dans Harmonielehre est de croiser la technique du minimalisme à des repères auditifs qui s’apparentent au romantisme tardif, y compris parfois, clairement, dans les titres de ses mouvements, tel The Anfortas Wound, référence à Parsifal de Wagner.
Une parution stratégique
Kent Nagano est depuis longtemps associé à l’œuvre d’Adams, mais sa période montréalaise semble l’en avoir distancié. Pour un projet visuel immersif à la Société des arts technologiques en 2014, il avait même donné son aval à ce que de nouveaux titres soient associés aux mouvements, ce qui avait choqué le compositeur, alors joint par Le Devoir.
La captation audio de Harmonielehre pour ce film, totalement déséquilibrée, avec des graves gonflés, n’est heureusement pas celle que l’on entend ici. Il s’agit de nouvelles prises réalisées en concert en novembre 2017 par Carl Talbot.
S’agissant de la stratégie discographique de l’Orchestre symphonique de Montréal, sa nouvelle aventure chez Decca est assez peu lisible. Amorcée sous les meilleurs auspices fort logiquement avec un accent français à travers L’aiglon de Honegger et Ibert, elle semble s’éparpiller, avec le disque d’Halloween puis A Quiet Place de Bernstein et, maintenant, John Adams.
Par contre, un John Adams Album sert bien Universal, qui n’avait rien dans son catalogue face à Warner, dont la version de Simon Rattle a vraiment popularisé ou « européanisé » l’œuvre. Le problème est que la concurrence est très forte. Il n’y a pas seulement Rattle, mais aussi l’enregistrement premier d’Edo De Waart et les adjonctions récentes de Michael Tilson Thomas avec l’Orchestre symphonique de San Francisco, un SACD de 2012 et, fin 2017, John Adams dans la luxueuse « John Adams Edition » (4 CD et 2 Blu-ray) éditée par le Philharmonique de Berlin.
Dans un tel contexte, qui satisfait déjà à tous les besoins des amateurs, la proposition montréalaise se démarque sur deux points : le couplage avec le rare Common Tones in Simple Time, la première grande œuvre orchestrale de 1979, qui n’avait pas vraiment été reprise depuis (car Adams a beaucoup avancé), et une esthétique sonore différente appliquée à Harmonielehre, plus ronde, moins cinglante.
C’est flagrant dès la répétition (39 fois) de l’accord de mi mineur au début. Cet adoucissement des timbres, arrondissement des arêtes, confère une sorte d’« ampleur romantique dans un étrange langage » à ce projet, auquel nous préférons le décapage hargneux de la version originale (De Waart) et les deux synthèses suprêmes des versions à la fois lapidaires et luxuriantes de Tilson Thomas à San Francisco et Adams à Berlin.
Pour les admirateurs de John Adams, l’édition berlinoise, qui résulte de la présence d’Adams comme compositeur en résidence en 2016-2017, est un trésor majeur.