Vasks transfiguré par Stéphane Tétreault et Mélanie Léonard

Combien étions-nous à verser une larme pendant l'ultime Adagio du Concerto Présence, composé en 2012 par le Letton Peteris Vasks ? Combien serons-nous à avoir du mal à trouver le sommeil après une telle expérience ? Aucune grande interprétation d'une oeuvre consacrée, aucune prestation de chanteuse ou de grand soliste n'arrive à la cheville d'une telle expérience : la première rencontre avec un vrai chef-d'oeuvre de notre temps.
Cela fait plusieurs fois depuis plus d'une décennie que nous écrivons de Peteris Vasks qu'il est notre phare parmi les compositeurs contemporains. Au fait, quelle est la musique de notre temps ? C'est la musique qui nous est nécessaire comme était nécessaire la musique de Chostakovitch aux Soviétiques. L'oeuvre de Peteris Vasks est cela : « De nos jours, la plupart des gens ne possèdent plus ni croyances, ni amour, ni idéaux. Mon intention est de donner un aliment à l'âme… », déclare-t-il.
Si nous avons établi un parallèle avec Chostakovitch, ce n'est pas un hasard : Vasks descend de Chostakovitch au même titre que ce dernier descendait de Mahler. C’est pour cela qu'il nous parle aussi intimement, aussi facilement. D'ailleurs, Présence, qui décrit la migration de l'âme dans le cosmos et son retour sur la terre pour aborder une vie nouvelle, comprend deux grandes cadences et la transition entre la seconde et la reprise orchestrale est quasiment calquée sur le modèle de celle du 1er Concerto pour violon de Chostakovitch.
Ce concerto a été écrit pour Sol Gabetta qui l'a enregistré chez Sony. Mais, à juger, justement par l'Adagio final, Stéphane Tétreault et Mélanie Léonard l'amènent sur de toutes autres rives, dans une sphère beaucoup moins tangible et plus éthérée, qui semble développer les acquis de Distant Light (1er Concerto pour violon de Vasks). Du coup, le concerto, beaucoup plus mystique, prend une nouvelle dimension. Il faudrait vraiment que ces artistes puissent enregistrer une proposition aussi originale et radicalement tranchée par rapport à ce qui existe déjà de la part de la dédicataire.
Une cheffe supplante l'autre
Qui aurait cru que Stéphane Tétreault éclipse ainsi la fameuse Sol Gabetta, que toute la planète s'arrache ? Et qui aurait cru que la Montréalaise Mélanie Léonard, directrice de l'Orchestre symphonique de Sudbury, donne, à distance, une leçon de musique à 24 heures d'intervalle à la globe-trotter Alondra de la Parra ?
La sobre et modeste Mélanie Léonard a littéralement enfoncé Alondra de la Parra sur tous les plans. Elle a, on vient de l'évoquer, donné une interprétation visionnaire d'une oeuvre. Elle a parlé avec coeur, intérêt et vraie connaissance des partitions qu'elle dirigeait, sans colporter de fadaises comme sa consoeur la veille sur la Symphonie du Nouveau Monde. Elle a tiré de la très délicate Pastorale de Norgard des couleurs subtiles et justes, là où la Mexicaine avait dilué Copland dans un bouillon sonore indifférencié.
Mélanie Léonard a aussi, et surtout, méthodiquement architecturé la Suite pour orchestre de Nielsen en agençant les mouvements dans des rapports de tempos logiques, en tenant les mouvements comme des entités et en gardant un contrôle absolu sur une exécution cadrée. De son côté, Alondra de la Parra organisait des moments flamboyants tout en négligeant maints détails et le côté organique et structurel de la musique. L'une fait une fulgurante carrière, l'autre pas. Allez comprendre…
Nous espérons que le jury des Prix Opus s'était déplacé, car ce concert avait vraiment tout : originalité et audace du programme, grandeur des interprétations, méticulosité de la préparation musicale. De la musique dans toute sa splendeur, sans effets, sans gestes gratuits, mais touchant à la vérité et à la vraie grandeur.