Patrick Watson, l'émotion au coeur de la vague

Le soleil d’automne entre à pleines fenêtres dans le studio montréalais de Patrick Watson. Au cœur d’une longue journée d’entrevues, le pianiste prend une pause et s’allume une cigarette dont il souffle la fumée dehors. En riant, il mime avec sa main sa mâchoire qui se fait aller déjà depuis longtemps. Et on lui parle de quoi à répétition ? « Les gens commencent en disant : “Ah, t’as eu des années très difficiles, et c’est dans l’album, bla-bla-bla…” Et je me dis : “All right », lance-t-il en haussant les épaules.
Regard furtif sur notre carnet de notes : oups. Le crayon rature la première ligne. Mais c’est un réflexe de journaliste, car Patrick Watson a vraiment connu des années difficiles depuis Love Song for Robots, son dernier disque paru en 2015. En très bref : sa mère et une amie sont décédées, il s’est séparé et son batteur Robbie Kuster a décidé de quitter les rangs.
Ce nouveau disque à paraître vendredi s’appelle d’ailleurs… Wave. « Mais c’est un album très particulier, concède-t-il. C’est quand même quatre ans où il y a eu de gros changements, des choses qui ont changé toute la structure de ma vie. Mais il n’y avait rien de super mauvais. »
Minute, papillon. Une mère qui meurt, quand même… « Il y a des moments difficiles, quand on perd quelqu’un, quand on se dit au revoir. Les choses étaient un peu folles, j’étais pas vraiment un happy camper, concède-t-il. Mais c’est pas triste comme perdre un enfant, disons. C’est très émouvant, mais c’est pas la fin du monde. C’est un défi, mais c’est pas triste »
Le voilà bien sage, Patrick Watson, qui arbore d’ailleurs une toison grisonnante. Wave, son sixième disque, n’est donc pas un disque triste, mais plutôt le recueil de titres qui sont nés de cet étrange moment où, au milieu de la grosse vague, « il faut laisser aller ton corps, et te laisser porter vers où ça va. […]. C’est le sentiment que tu as quand tu ne peux pas faire grand-chose et que tu te dis que tu vas juste faire le mieux possible ».
Droit au but
Il insiste : « Quand j’ai écrit ces chansons-là, il n’y a pas un moment où je ne me sentais pas heureux. » Et dans nos oreilles, il y a aussi pas mal de ça. Wave flirte avec une certaine mélancolie, mais il y a une énergie assez positive qui en ressort. Et l’impression que Watson a fait les choses différemment, dans l’écriture, entre autres.
« C’est beaucoup plus direct, moins obscur qu’avant, où j’utilisais des images abstraites, des métaphores larges, affirme Patrick Watson. Là, c’est exactement ce qui se passe, c’est to the point. Ça vient du fait d’avoir écouté Frank Ocean, Leonard Cohen et John Lennon. »
Étrange trio, mais Watson a été fasciné par Ocean et le R & B moderne « où il y a un niveau de franchise étonnant ». De Lennon, il retient des pièces comme Jealous Guy ou Mother « avec une poésie sans dentelle, c’est “ toi et “ moi . » Quant à Cohen, dont Watson a réalisé une pièce du prochain disque posthume, il retient sa capacité à être vulnérable, à ne pas avoir peur du laid, à ne pas être le héros.
Ce nouveau disque pavé de voix de femmes — dont Charlotte Loseth, Erika Angell et Ariel Engle — révèle aussi un chanteur qui pousse la note d’une autre manière, en toute cohérence avec le fait de moins se cacher en écrivant.
« Je voulais m’engager plus dans les mots, je ne voulais pas être acrobatique, confie-t-il. J’ai perdu la voix dans la tournée de Lost Songs for Robots, et je ne faisais plus les notes aiguës. Et personne ne disait rien à ce sujet, ce qui m’a fait réaliser que toutes les notes acrobatiques étaient totalement inutiles. [Le journaliste proteste] Non sérieusement. Alors quand j’ai fait ce disque, j’ai pensé à me concentrer sur l’intention. Sur la simplicité, et moins de crazy shit. »
Je pense que j’ai choisi les pièces qui nous donnaient vraiment la chair de poule
Une « mue » exigeante, mais qui effectivement ramène à l’essence, alors que dans la musique, Watson et ses musiciens Mishka Stein, Joe Grass et le nouveau batteur Evan Tighe sont partis dans plusieurs directions, dont une voie plus synthétique pour sa « proximité intéressante ».
« Les choix c’était pas : quel genre de musique veux-tu jouer, mais quels feelings on veut donner aux gens. Et on est allé à plein d’endroits. Melody Noir vient d’une musique vénézuélienne de Simón Diaz, Strange Rain est inspirée d’une pianiste éthiopienne, Maryam Guèbrou. Dream for Dreaming, même si j’ai compris que c’est les mêmes accords que Creep [de Radiohead], a plus été inspirée par John Lennon ! »
Ce sont donc les dix « chapitres » préférés de Patrick Watson qui se retrouvent sur Wave, ceux qui cadraient encore avec sa réalité et qui méritaient de vivre dans un monde déjà inondé de nouvelles musiques.
« Si je dis quelque chose, c’est mieux de compter pour vrai. Sinon, aussi bien me taire. » Et selon quels critères choisir ? « Ton corps sait, tranche-t-il. Ton corps sait. Il faut que tu l’écoutes. Tu ne peux pas te fier à ta tête pour choisir des chansons. Tu pourrais toujours choisir une chanson de manière intellectuelle, parce qu’elle est cool ou qu’elle va te faire paraître de telle façon, mais la musique, ça ne marche pas comme ça, c’est une expérience viscérale. Et je pense que j’ai choisi les pièces qui nous donnaient vraiment la chair de poule. »
Bref, cette vague n’est pas triste, mais elle remue.