Le disque par la danse

Ne calculez pas une once de nostalgie dans le retour de Fly Pan Am. Les musiciens s’y sont remis avec une bonne dose de plaisir.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Ne calculez pas une once de nostalgie dans le retour de Fly Pan Am. Les musiciens s’y sont remis avec une bonne dose de plaisir.

« À l’époque, il n’y avait personne d’entre nous qui savait vraiment comment faire de la musique électronique », laisse échapper Roger Tellier-Craig. À l’époque, c’était en 1999, à la sortie du premier album du groupe chez Constellation, l’étiquette qui nous avait déjà donné Do May Say Think, Exhaust et, surtout, Godspeed You ! Black Emperor. C’était avant l’Internet à haute vitesse, à l’orée de la crise du disque, rappelle le musicien, « à l’époque où on croyait être les seuls en ville à faire ce genre de musique en français », un rock volatil, punk dans l’esprit, studieux dans ses applications électroniques et expérimentales, avec lequel on renoue enfin.

C’était aussi avant Facebook, canal par lequel Fly Pan Am a annoncé son retour sur scène, au centre d’art Dazibao, il y a un an presque jour pour jour. La communion sur scène a porté ses fruits : voici C’est ça, quatrième album après quinze ans de silence radio, le plus raffiné, travaillé et étriqué des disques du groupe, prêt à reprendre du collier, en studio comme sur scène. Ne manque d’ailleurs que le batteur Félix Morel à notre rendez-vous, lui qui fait un travail impeccable sur C’est ça, superbe retour aux sources krautrock du groupe complété par Jonathan Parant, Jean-Sébastien Truchy et Tellier-Craig.

« On n’avait jamais annoncé que le groupe se séparait », note au passage Parant.

Ils ne se sont jamais perdus de vue, surtout, chacun menant ses propres projets de son côté, trajectoires croisées sur la scène expérimentale québécoise. Parant était du groupe Feu Thérèse, mais ce qu’il adore, « c’est la musique interactive pour la scène, et surtout la danse », lui qui a travaillé avec Marie Brassard et Évelyne de la Chenelière. Truchy, lui, a piloté le projet Avec le soleil sortant de sa bouche, rejoint Set Fire to Flames, en plus de mener ses projets solos. Roger Tellier-Craig a trimbalé sa guitare au Conservatoire, exploré les musiques d’avant-garde, cofondé le groupe pop expérimental Pas Chic Chic.

Du moment qu’on a décidé de refaire Fly Pan Am, il était clair qu’on ne revisiterait pas notre vieux matériel. De toute façon, ce serait impossible de recréer le son, j’ai vendu tous mes instruments de l’époque !

« Je me rappellerai toujours ces moments, il y a vingt ans, où on avait le fantasme de faire du Xenakis mélangé avec du Velvet Underground », lance Jonathan Parant. À ses côtés, Roger et Jean-Sébastien opinent : la belle image ! Un rock entraînant, une oreille tendue vers la marge. « C’était le genre de soirée qu’on passait ensemble, à discuter de musique entre deux bières. On faisait des écoutes d’albums bien précises : rock, électroacoustique, noize. Je pense que ça a créé une forme d’ouverture vers un métissage [sonore] qui est devenu Fly Pan Am. » Jean-Sébastien ponctue : « On rêvait de faire un disque de rock électroacoustique ! »

Retrouvailles dans le plaisir

 

L’oreille vers la marge et le regard porté vers l’avant : « Du moment qu’on a décidé de refaire Fly Pan Am, il était clair qu’on ne revisiterait pas notre vieux matériel », celui des albums Fly Pan Am (1999), Ceux qui inventent n’ont jamais vécu (2002) et N’écoutez pas (2004), insiste Jean-Sébastien. « De toute façon, ce serait impossible de recréer le son, j’ai vendu tous mes instruments de l’époque ! » tranche Jonathan.

Ne calculez pas une once de nostalgie dans le retour de Fly Pan Am, même si les mélomanes d’expérience trépigneront à l’idée d’entendre le nouveau matériel du groupe. « Personnellement, ce que je me disais, c’est qu’avec tout ce qu’on a fait depuis quinze ans, tout ce qu’on a appris ces dernières années, je serais curieux de voir ce que ça donnerait si on s’y remettait », dit Tellier-Craig, qui partage le sentiment de ses collègues. Ils s’y sont remis avec une bonne dose de plaisir, devons-nous ajouter : dès les premières notes de synthés qui ouvrent l’album en rappelant les bidouillages de Jean-Jacques Perrey, jusqu’aux hurlements inattendus qui surgissent du groove hypnotique de One Hit Wonder au cœur de l’album, on ressent le plaisir qu’a suscité ces retrouvailles.

C’est aussi par le truchement de la danse contemporaine que Fly Pan Am est retourné au studio Hotel2Tango, aux bons soins du réalisateur Efrim Menuck — il a fait un boulot extraordinaire sur cet album aux sonorités minutieusement calibrées après « six jours de studio, et presque quatre mois de mixage », dit Roger Tellier-Craig. Ainsi, Fly Pan Am accompagne en tournée la production multimédia Frontera de la compagnie Animals of Distinction de la chorégraphe Dana Gingras, production qui sera présentée par Danse Danse au théâtre Maisonneuve du 4 au 7 décembre.

« Dana avait déjà travaillé avec nos disques par le passé, indique Tellier-Craig. Récemment, elle a monté une pièce avec Godspeed You ! Black Emperor, qui l’accompagnait sur scène, et elle voulait répéter l’expérience. Le nouvel album, c’est une convergence de toutes ces belles pistes. » Les prochains mois verront Fly Pan Am donner des concerts lors des escales que fera la compagnie Animals of Distinction et, une fois la production de Gingras terminée au printemps, il prendra la grande route des scènes américaines et européennes.

Fly Pan Am lancera C’est çale 20 septembre au bar Le Ritz PDB.

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