Miles Davis et ses démons

Le trompettiste Miles Davis au Grand Parade Jazz Festival, en 1985
Photo: Joël Robine Agence France-Presse Le trompettiste Miles Davis au Grand Parade Jazz Festival, en 1985

Bien évidemment, la stature de Miles Davis dans l’histoire du jazz étant ce qu’elle est, notre homme a été le sujet de plus d’un documentaire, de biographies et même d’un biopic, comme on dit désormais, d’ailleurs passionnant, et qu’a réalisé l’acteur Don Cheadle il y a trois ans de cela. Voilà qu’aujourd’hui, sur le plan de l’image, notre cher trompettiste fait à nouveau les manchettes ou presque grâce à un film signé par Stanley Nelson.

La première qualité que l’on tient à mettre en relief est une chose toute simple : la longueur. Intitulé Miles Davis – The Birth of Cool, ce film est d’une durée de deux heures. C’est bête à dire, mais à la différence de documentaires antérieurs, celui de Nelson prend le temps de décliner les hauts et les bas de la vie de ce génie ici-bas.

Prenez ses démons. À la différence, par exemple, de The Miles Davis Story du Britannique Mike Dibb, sorti en 2002, The Birth of Cool ne louvoie jamais sur ce plan. Il traite le sujet frontalement en faisant témoigner longuement, entre autres, la danseuse Frances Taylor, qui fut sa femme dans les années 1960, ou encore son fils Erin, ou celui qui fut son gérant et ami dans les années 1970, qui furent les années sombres de sa vie. Notamment pour cause de consommation effrénée de cocaïne.

 

Prenez maintenant Paris ou plus exactement Juliette Gréco, l’enregistrement de la bande-son du film de Louis Malle Ascenseur pour l’échafaud, voire Jean-Paul Sartre et même les quais de la Seine. À la différence de tout ce que l’on a vu jusqu’à présent, Nelson s’attarde sur les rapports de Miles Davis avec la France en interviewant longuement Gréco et le pianiste, l’excellent pianiste, René Urtreger. Passons à la musique.

Si vous avez vu le documentaire de Dibb et surtout le magistral 1959, The Year that Changed Jazz, soit l’année au cours de laquelle fut publié Kind of Blue toujours considéré comme le meilleur disque de jazz, alors vous n’apprendrez pas grand-chose sur la manière dont Davis abordait la musique. De composer, d’arranger, de mener à bon port son jeu et celui de ses accompagnateurs. Par contre, si ce n’est pas le cas, vous serez gâté. Car…

Car Nelson interroge, là aussi longuement, ceux qui l’ont côtoyé sur scène et en studio. Ron Carter, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Jimmy Heath, le fils de ce dernier, le percussionniste James Mtume, Mike Stern, et Jimmy Cobb qui fut le batteur de Kind of Blue et qui ne cesse de jouer et d’enregistrer. À ce propos, celui de la musique, une énigme demeure : comment se fait-il que le batteur Al Foster soit totalement absent du film, quand on sait qu’en plus d’avoir joué longuement avec lui, il fut tout au long des années 1970 et 1980 son éclaireur ? Son pourvoyeur en nouveautés sonores.

Quoi d’autre ? À intervalles réguliers, Nelson met en lumière les faits racistes qui ont profondément marqué Miles Davis. Les faits qui, dit-on, sont à l’origine de son irascibilité, de sa colère permanente. Et pour ça, pour avoir insisté là où les autres ont fait pour ainsi dire le service minimum, on dit bravo à Stanley Nelson.

P.-S. Si d’aventure on veut en savoir davantage sur Miles Davis, alors on conseille l’autobiographie écrite avec le poète Quincy Troupe, intitulée tout simplement Miles, aux Presses de la Renaissance ou encore celle rédigée par le trompettiste britannique Ian Carr : Miles Davis, aux Éditions Parenthèses, plus difficile à trouver.

Miles Davis - The Birth of Cool

Documentaire de Stanley Nelson. États-Unis, 2019, 115 minutes. En version originale anglaise au Cinéma du Parc.

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