«Le vaisseau-coeur» du Ballet Opera Pantomime: avec un coeur gros comme ça!

Le pari de la direction de la salle Bourgie de faire confiance à un groupe de jeunes musiciens et créateurs a été couronné de succès mardi soir en ouverture de saison. La compagnie Ballet Opera Pantomime (BOP) poursuit son sans-faute éblouissant. Mais ce nouveau projet, Le vaisseau-coeur, va plus loin. Il touche profondément, viscéralement, car les héroïnes de ce spectacle si bien pensé et ficelé sont 25 jeunes filles de l’école Joseph-François-Perrault qui le portent sur leurs épaules.
Voici un projet qui nous impressionne, mais qui les marquera à vie. Engagées dans l’aventure sur la base du volontariat, en dehors de tout programme scolaire, elles ont mémorisé Poulenc et Messiaen, plus la gestuelle, les déplacements et la mise en espace, tout en assurant une qualité vocale et d’intonation dans des oeuvres redoutables. Un tel accomplissement est profondément émouvant.
Le rituel du concert
L’intérêt d’avoir confié ce spectacle d’ouverture à BOP est bien plus grand qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas de simple jeunisme, mais d’une approche sur la manière de reconsidérer ce que l’on pourrait appeler le « rituel du concert ». Inscrire les Litanies à la Vierge noire et les Trois petites Liturgies de la Présence divine dans une sorte de cérémonial (un Messiaen quasi parsifalien par moments).
Diverses questions se posent : avoir quatre danseuses sur scène manipulant des rayons de métal, greffer une gestuelle au chant ajoute-t-il à l’expérience en captivant le spectateur ou détourne-t-il de l’expérience musicale ? En ce qui nous concerne, nous avons été fascinés. Le seul bémol était que l’action renforçait des paroles, certes imprimées dans la notice, mais illisibles en raison de la pénombre, peu compréhensibles à cause d’une prononciation pas assez accentuée des consonnes et impossibles à projeter au-dessus de la scène sous peine de nuire au spectacle.
Ce Vaisseau-coeur, bien défendu par I Musici, avec un parfait dosage des ondes Martenot (Estelle Lemire) est mené avec maîtrise par Hubert Tanguay-Labrosse. La création introductive d’Alexis Raynault remplit parfaitement son rôle d’accompagner l’assombrissement progressif de la salle. Elle débute en reprenant la thématique de Seigneur prends pitié de Poulenc. La baisse d’intensité lumineuse coïncide avec un renforcement des graves. Telles des peintures de Soulages, des bribes d’éclats lumineux se reflètent une pâte de plus en plus noire et dense. Musicalement, l’ambiance est quasiment plus nordique que française. La transition, imperceptible, vers les Litanies de Poulenc est très réussie.
L’audace du Vaisseau-coeur mérite d’être fêtée par le public lors des deux représentations restantes. À l’heure où certains trouvent avisé de remuer la thématique recuite d’un élitisme supposé de la musique classique, prôné par on ne sait qui au juste, ces jeunes créateurs et musiciennes montrent, au même titre que les 4000 Québécois debout, criant leur exaltation à Lanaudière après la 4e Symphonie de Tchaïkovski de Rafael Payare avec l’OSM cet été, que le soleil de la musique n’est pas dans les faux débats et le populisme, mais dans l’inventivité, le risque et la qualité, avec des présentateurs pour les montrer et des médias et médiateurs crédibles pour en parler et la reconnaître au quotidien.