La chanson rock à sa plus simple expression

«Hello, good evening — bonsoir !», lance-t-elle au public enjoué à ses pieds. Les chansons de Barnett sont souvent graves, mais elle compense sur scène par cette bonne humeur contagieuse et, surtout, par des éruptions de rock bruyant et jouissif.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Hello, good evening — bonsoir !», lance-t-elle au public enjoué à ses pieds. Les chansons de Barnett sont souvent graves, mais elle compense sur scène par cette bonne humeur contagieuse et, surtout, par des éruptions de rock bruyant et jouissif.

C’est fou comment une belle soirée peut tenir à peu de choses. Un t-shirt blanc, une paire de jeans, une guitare dans le cou. Un batteur, un bassiste, Courtney Barnett et c’est tout. C’est tout ? Ajoutons son répertoire, deux albums officiels, une poignée de Eps et de singles qui tracent les contours de l’univers rock de cette auteure, compositrice et interprète de talent passionnante qui s’offrait le MTelus hier soir, à l’affiche du Festival international de jazz de Montréal.

Le tapis rouge lui avait préalablement été déroulé par le jeune groupe montréalais Pottery, qui enfile ainsi les premières parties alléchantes, eux qu’on avait aperçus en décembre dernier au Théâtre Corona avant Parquet Courts. Entre-temps, l’inclassable quintette — post-punk, pop, rock’n’roll, psychédélique, disco, tout ça souvent en même temps — a lancé un premier album sur étiquette Partisan Records, le bêtement nommé No.1, qu’ils ont déballé de long en large et même en l’étirant un tantinet puisqu’il ne fait que sept brèves chansons, hormis la furieuse Lifeline Costume à presque huit minutes.

L’orchestre n’a pas fait mentir sa réputation de groupe à surveiller, c’était tendu et énergique à souhaits. Le chanteur et guitariste Austin Boylan est une drôle de bête, recroquevillé sur sa guitare, le ton criard, avec l’autre guitariste et choriste Jacob Shepansky qui en rajoute une coche. La section rythmique (Paul Jacobs à la batterie, Tom Gould à la basse) trime comme une machine à coudre des grooves ensemble, et ils ont besoin de tenir solidement puisque les changements de vitesse imprévus, voire les changements de registre — du disco au punk, dans une même chanson — abondent. Quant à Peter Baylis aux synthés, il trouve le moyen de se faire remarquer dans tout ce bruit avec toujours le bon petit motif mélodique à pianoter.

Avec une petite dizaine de minutes de retard, Courtney Barnett et ses deux accompagnateurs ont ensuite pris la scène d’assaut, ouvrant comme sur son dernier album (Tell Me How You Really Feel, 2018) avec Hopefulessness, chanson par en langueur et se termine le couteau entre les dents, assortie d’un riff de guitare inoubliable — Barnett est une guitariste au jeu impulsif et volontairement brouillon, elle qui frappe les cordes de son instrument avec les doigts seulement, ses solos extraits à l’aide de son index, tout ça donne une couleur « grunge » aux accords et aux mélodies qu’elle émet.

L’Australienne occupe toute la scène à elle-seule pratiquement, son batteur étant installé loin côté jardin alors que son bassiste passera la soirée sur l’autre flanc, planté devant une colonne d’amplis, une touffe de cheveux recouvrant son visage. Qu’est-ce qu’elle bouge, Barnett ! Comme si ses solos la propulsaient d’un bord ou l’autre de la scène, on croirait parfois voir la pauvre petite Regan possédée par le démon dans L’Exorciste. Pareil pendant la pesante City Looks Pretty sur le thème de la déprimante solitude, pareil pendant la fantastique Avant Gardener (de son premier album, Sometimes I Sit And Think, And Sometimes I Just Sit, 2015), et son texte abordant ses crises d’anxiété.

« Hello, good evening — bonsoir ! », lance-t-elle au public enjoué à ses pieds. Les chansons de Barnett sont souvent graves, mais elle compense sur scène par cette bonne humeur contagieuse et, surtout, par des éruptions de rock bruyant et jouissif. Au milieu du concert, elle nous sert le brûlot I’m Not Your Mother, I’m Not Your Bitch en à peine deux minutes, mais avec une telle rage qui nous rivait au plancher — ce moment fort de la soirée fut suivi par Small Poppy, un blues-rock insidieux sur le joug du regard des autres se terminant dans le chaos avec cette phrase coup-de-poing : « I used to hate myself but now I think I’m alright ».

Sur disque, Courtney Barnett cartographie avec sensibilité nos conflits intérieurs, sur scène, elle en dispose, les brûle avec sa chanson rock cathartique et ça fait du bien. Solide et généreuse soirée au MTelus, hier ; avis aux intéressés, Courtney Barnett a accepté de se prêter au jeu de l’entrevue devant public aujourd’hui. C’est le chapitre montréalais de l’organisation internationale Women in Music qui organise l’événement au disquaire Aux 33 Tours, 1373 avenue Mont-Royal est, à compter de midi 30 ; la musicienne offrira également une courte performance.

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