Madeleine Peyroux, Hailu Mergia au FIJM: l’heure des retrouvailles

Avec Madeleine Peyroux, on se sentait dans un sous-sol de café-cabaret plutôt qu’assis dans un cube de béton. Sa voix, son jeu, son répertoire appellent à cette proximité.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Avec Madeleine Peyroux, on se sentait dans un sous-sol de café-cabaret plutôt qu’assis dans un cube de béton. Sa voix, son jeu, son répertoire appellent à cette proximité.

En plein milieu de son concert d’hier au Théâtre Maisonneuve, Madeleine Peyroux a montré la direction des coulisses à ses quatre musiciens pour s’offrir un moment intimité avec nous. Guitare acoustique au cou, elle a enfilé une poignée de chansons, en invoquant d’abord la mémoire — et la voix — de Joséphine Baker : « J’ai deux amours, mon pays et Paris… ». Tout le long de la soirée, elle a fait allusion au contexte politique du premier, et parlé le second, alternant entre le français et l’anglais en s’adressant à ce public montréalais qu’elle fréquente depuis ses débuts.

« Je chante trois types de chansons : love songs, blues songs, and drinking songs », précisa l’Américaine attachée à la France où elle a vécu avant d’avaler If the Sea was Whiskey, blues alcoolisé de Willie Dixon qu’elle reprenait sur l’album Secular Hymns (2012), cette fois avec de nouvelles paroles : « Whiskey and beers, they don’t make me drunk… but If Donald Trump is re-elected… ». La salle pouffa de rire et applaudit à tout rompre.

Ils sont là tous les cinq, batteur, bassiste, guitariste, claviériste et elle, formant un tout petit cercle au devant de la grande scène du théâtre, essayant de jouer tout doucement pour accompagner son répertoire de blues, folk, vieille chanson, vieux jazz, mais ne jouent encore pas assez doucement, la voix pincée de Peyroux percait mal les haut-parleurs. Si seulement elle faisait un effort pour chanter droit devant le micro, mais ce n’est ni son style, ni le genre d’ambiance qu’elle installait hier soir. Débonnaire, Madeleine. Elle joue d’instinct, nous cause pareillement, en bilingue tout le long de la soirée.

C’est sa force. Avec elle, on se sentait dans un sous-sol de café-cabaret plutôt qu’assis dans un cube de béton. Sa voix, son jeu, son répertoire appellent à cette proximité. Pas étonnant qu’on la réinvite, de surcroît pour le 40e anniversaire du Festival international de jazz de Montréal : elle se sent un peu chez elle ici, la Brooklynoise, et nous l’accueillons invariablement les bras ouverts, l’applaudissant à chaque vanne qu’elle lance à l’endroit de Trump, à chacune de ses reprises de notre Leonard Cohen – sa version d’Anthem, qu’elle a mise sur son dernier album du même nom, fut d’ailleurs l’une des plus belles de la soirée.

Elle a commencé jazz douillet avec Don’t Wait too Long (de Careless Love, 2004), a visité Dylan avec You’re Gonna Make Me Lonesome When You Go, puis Gainsbourg avec sa version très libre, très incarnée, de La Javanaise (elle aussi applaudie à tout rompre), pour alterner entre ses compositions et celles d’autres plus oubliés, entre la pop, le folk et le blues. Son orchestre ne faisait pas de flammèches, solide mais discret, laissant toute la place à la bohème écarquillée entre son pays et Paris.

Addis-Abeba, Washington, Montréal

 

Un tout autre genre de retrouvailles s’est déroulé plus tard à l’Astral : deux ans après son dernier concert chez nous à l’affiche du festival Suoni per il Popolo, le compositeur, arrangeur, claviériste et accordéoniste Hailu Mergia venait nous présenter en formule trio le matériel de Lala Belu, son premier album… en trente ans.

Toute une vie que celle de Mergia, cofondateur du fameux Walias Band qui, dans les années 1970 — et sous le strict régime du Gouvernement militaire provisoire de l’Éthiopie socialiste —, animait ce qui restait de nuits endiablées à Addis-Abeba, à l’abri dans la salle de bal du chic Hilton.

Profitant d’une première tournée états-unienne au début des années 1980, il a quitté son pays et l’orchestre ayant modelé cette musique unique faite de rythmes et chants traditionnels éthiopiens et de jazz-funk américain qu’on a plus tard appelé l’éthio-jazz. Installé depuis à Washington et devenu chauffeur de taxi, il a retrouvé son public grâce à la réédition, il y a six ans, de l’incroyable et psychédélique Hailu Mergia & His Classic Instrument, album enregistré seul en 1985 avec une boîte à rythme, un Rhodes, un Moog et son accordéon, véritable trésor retrouvé de la musique pop éthiopienne.

Loin des méditatifs et étranges grooves de cette miraculeuse réédition, le concert qu’il a offert hier était plutôt en phase avec les grooves jazz-funk de son récent album. Un bassiste, un batteur – Ken Joseph, Trinidadien d’origine, la frappe forte, sèche et précise, un vrai bon batteur de reggae depuis longtemps familier avec l’éthio-jazz et « le seul et unique » Mergia, au Rhodes, synthé, accordéon et mélodica.

Droit au but, les solos et harmonies mystérieuses de Mergia, son jeu fluide et rapide aux inflexions si particulières au répertoire éthiopique, soutenu par une section rythmique dynamique, capable de retourner un rythme funk sur un groove jazz d’un claquement de doigts. Le reggae était parfois servi en entrefilet, histoire de changer de ton, et les effets dub du batteur accompagnaient parfaitement les solos du vétéran. Seul petit regret à cette soirée sans prétention : on aurait pris davantage de jeu à l’accordéon, cet instrument qu’il a redécouvert en Amérique et qui donne une couleur si singulière à sa vision de l’héritage musical éthiopien.

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