Entre Cohen et Bach, les chemins bleus de Tord Gustavsen

Tord Gustavsen maîtrise les contrastes. Vendredi, c’était patent: des séquences rythmiques voilées, mais envoûtantes, des textures chaudes, des éclats de beauté plaqués fortement sur le Steinway.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Tord Gustavsen maîtrise les contrastes. Vendredi, c’était patent: des séquences rythmiques voilées, mais envoûtantes, des textures chaudes, des éclats de beauté plaqués fortement sur le Steinway.

Il y a en apparence si peu de choses dans la musique de Tord Gustavsen. Quelques notes, au fond. Et pourtant : de si grandes choses en émergent toujours.

Ce fut encore une fois le cas vendredi, au Gesù, devant une salle pleine témoignant de l’attrait que le pianiste norvégien exerce sur le public montréalais. Accueil (très) chaleureux, écoute (très) attentive, les conditions étaient parfaites pour le genre de communion musicale qu’il propose.

De retour en trio (avec son batteur Jarle Vespetad et un compatriote contrebassiste qui partageait la scène avec eux pour la première fois — « pouvez-vous croire ça ? », a demandé Gustavsen après avoir constaté à quel point tout était fluide), le pianiste a surtout pigé dans le répertoire de son dernier disque — The Other Side.

Ce qui veut notamment dire qu’il y a eu de remarquables interprétations de chorals de Bach n’ayant strictement rien à voir avec ce que Jacques Loussier a pu faire il y a quelques décennies. Ici comme ailleurs, l’approche de Gustavsen en est une de l’intériorité.

Il a présenté le compositeur allemand comme étant un « célèbre bouddhiste », et la salle a rigolé. Mais voici : la grande pianiste classique et spécialiste de Bach, Zhu Xiao Mei, soutient la même chose. On la cite (par le biais de France Musique) : « Par sa maîtrise de sa vie intérieure, son contrôle des émotions, son intériorité, Bach est bouddhiste. C’est le plus grand des compositeurs bouddhistes. » Ce n’est pas une preuve béton, mais bon. Et ce que Tord Gustavsen a touché de Bach vendredi révélait précisément ces éléments.

Au-delà de ça, il y a eu comme toujours chez lui des hymnes et des chants traditionnels norvégiens, intégrés aux schémas jazz qui font le son Gustavsen. Tout est évocation, finesse, subtilité. Tout est émotion, esquisses de paysages, lignes mélodiques déployées avec une économie de notes d’autant plus remarquable qu’on n’en prendrait pas une seule de plus : tout est dit sans presque rien dire.

Mais il y a aussi chez Gustavsen et son groupe une maîtrise des contrastes — et une utilisation de ceux-ci plus accrue que dans le passé. Vendredi, c’était patent : des séquences rythmiques voilées, mais envoûtantes, des textures chaudes, des éclats de beauté plaqués fortement sur le Steinway.

Et Leonard Cohen ? Bien, il est apparu au détour d’un hymne norvégien — pourquoi pas ? Gustavsen a ainsi rendu hommage au grand Montréalais de la plus exquise des manières : dans le recueillement. Et en choisissant une chanson (Came So Far For Beauty, de l’album Recent Songs) dont le titre renvoie fort bien à la démarche des deux.

Truffaz plein-air

 

Il est passablement rare que la grande scène extérieure de la Place des Festivals accueille en milieu de soirée un artiste jazz, et sûrement encore plus rare que celui-ci attire une foule aussi considérable que celle venue voir Erik Truffaz vendredi.

Ils y étaient peut-être en partie parce que la météo était alléchante ? Ou pour l’offre musicale ? Allez savoir, et peu importe : beaucoup de monde, et beaucoup de groove partout.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le trompettiste Erik Truffaz vendredi sur la grande scène extérieure de la Place des Festivals

Accompagné du rappeur Nya, le trompettiste français et son quartet reprenaient les grandes lignes de l’album-culte Bending New Corners, sorti il y a exactement 20 ans. Un répertoire taillé sur mesure pour ce contexte grand public.

Bending New Corners était cette sorte de synthèse entre jazz planant, drum & bass, funk, hip-hop, house, musiques électroniques, etc.. Largement improvisé, le disque (qui suivait un autre projet du même genre pour Truffaz, The Dawn) était traversé à la fois de beats puissants et de mélodies accrocheuses. Sur scène, vendredi, le groupe et Nya ont su redessiner les contours de l’oeuvre pour lui insuffler ce qu’il fallait de mordant et de modernité.

Du jazz on ne peut plus urbain, au milieu de la ville : cohérence. Et plaisir.

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