Joshua Redman, d’un quartet à l’autre

Le saxophoniste Joshua Redman se présente à Montréal cette année entouré des musiciens Aaron Goldberg, Reuben Rogers et Gregory Hutchinson.
Photo: Annik MH De Carufel Le Devoir Le saxophoniste Joshua Redman se présente à Montréal cette année entouré des musiciens Aaron Goldberg, Reuben Rogers et Gregory Hutchinson.

L’histoire du jazz s’est souvent écrite autour de quartets dirigés par d’immenses saxophonistes : John Coltrane, Ornette Coleman, Gerry Mulligan, Wayne Shorter… Le nom de Joshua Redman risque fort de s’ajouter un jour à cette liste. Sauf que, dans son cas, il faudra spécifier lequel de ses quartets est en cause, tant l’homme les multiplie.

Faisons les comptes. Redman se présente à Montréal cette année — c’est une douzième présence pour ce géant du jazz moderne — entouré d’Aaron Goldberg (piano), de Reuben Rogers (contrebasse) et de Gregory Hutchinson (batterie). C’est là un groupe au long cours, qui s’est produit au Festival international de jazz de Montréal (FIJM) en 2001 et en 2013.

Redman était aussi du FIJM 2018, mais avec un autre quartet (sans piano). La prestation du groupe Still Dreaming à la Maison symphonique fut mémorable, à l’image du disque qui porte ce projet inspiré de l’oeuvre d’un autre grand quartet animé dans les années 1970 par le père de l’artiste, Dewey Redman.

Pour compléter la liste, on rappellera que Joshua Redman a aussi joué en quartet à Montréal en 2015 avec le trio The Bad Plus, de même qu’en 2009, cette fois aux commandes de James Farm, autre groupe d’exception qui demeure actif.

Le musicien américain, âgé de 50 ans, ne se confine pas à ce format (on note à sa discographie des albums marquants en trio, de même qu’en duo avec le pianiste Brad Mehldau). Mais c’est bien à ce classique des classiques qu’on l’associe spontanément… comme bien d’autres musiciens dans l’histoire.

« Il y a une riche histoire et une riche tradition pour les saxophonistes ténors de travailler en quartet, disait Redman en entretien avec Le Devoir plus tôt en juin. Il y a quelque chose de spécial et d’attractif à jouer dans ce genre de configuration. »

Lui se dit surtout attiré par l’idée de jouer au sein de petites formations, peu importe le nombre précis. « Ce qui est le plus important, à mon sens, c’est d’avoir le sentiment d’être capable d’être vraiment libre et fluide, de bien interagir avec les autres musiciens, d’avoir une conversation avec eux, de construire quelque chose collectivement à travers l’improvisation. »

« Les petits groupes donnent en général plus de responsabilités à chaque musicien, et aussi plus de liberté pour vraiment modeler la musique à notre façon », ajoute-t-il.

Équilibre

 

La formule piano-sax-batterie-contrebasse permet précisément cela. « Parce qu’il y a un certain équilibre, dit Redman. Tous les éléments sont là : sur le plan de la composition, vous pouvez vraiment développer l’aspect mélodique et rythmique. »

Interrogé sur l’attrait du quartet pour un saxophoniste, le musicien québécois Yannick Rieu répond lui aussi spontanément qu’il y a ici un « équilibre entre les différents instruments — instruments harmoniques, mélodiques et rythmiques — qui, de plus, offre de multiples possibilités d’orchestration : piano-saxo, batterie-saxo, basse-piano, etc. ».

« Une autre raison est sans doute la tradition, cette espèce de référent qui rend “évidente” l’utilisation de cette formation, poursuit Rieu. Ce n’est certainement pas par hasard si elle est devenue un “classique”, un peu comme le quatuor à cordes, le quintette à vent ou l’orchestre symphonique dans la musique classique. Les générations en aval profitent de celles en amont qui ont expérimenté divers agencements. »

La formule à quatre a aussi un avantage… financier, ajoute Rieu. « C’est un peu trivial, mais c’est la formation la plus complète relativement facile à faire tourner, vu le petit nombre de musiciens. Les facilités de transport et les cachets ne sont pas complètement étrangers à son utilisation fort répandue… »

Des frères

 

En ce qui concerne la formation avec laquelle il se produira cette année, Joshua Redman parle de ses « frères musicaux ». Le groupe joue ensemble depuis la fin des années 1990, mais a relativement peu enregistré : les albums Beyond (2000) et Passage of Time (2001) témoignent de la période où c’était là le projet central de la carrière de Redman. Il aura ensuite fallu attendre 18 ans avant de retrouver le groupe sur disque — l’excellent Come What May est sorti ce printemps.

« On n’a jamais arrêté de jouer ensemble et c’était important pour moi d’avoir la possibilité de faire un autre album avec ces musiciens », dit Redman. Cela parce qu’il y a une valeur intrinsèque à ces relations artistiques qui durent longtemps : une question de confiance et de compréhension qui permet à la musique d’aller plus loin — principe particulièrement important lorsqu’il s’agit de musique improvisée.

Joshua Redman résume l’équation : « Plus vous connaissez les gens avec qui vous jouez, plus vous avez confiance en eux, plus vous avez de l’empathie [au sens de la capacité intuitive de deviner l’autre, de s’identifier à lui], plus vous êtes détendus, plus vous êtes authentiques et plus vous vous sentez libres… Il n’y a pas de produit de substitution à ça. Vous ne pouvez pas fabriquer cette chimie et cette amitié sincère. Il faut jouer, passer du temps ensemble dans les aéroports et les bus de tournée, discuter de tout et de rien… »

Figure de proue du jazz contemporain depuis le début des années 1990, Joshua Redman s’est toujours distingué par une profonde humilité. Et c’est encore ce trait de personnalité qui émerge quand on lui demande ce qui continue à le motiver après quelque trois décennies de carrière. « Ce qui me motive ? J’espère encore devenir bon un jour. J’adore jouer, mais je n’ai jamais été satisfait ou content de mon jeu. Chaque chose apprise ou chaque réponse trouvée me mène à 100 autres questions. Alors, je continue de chercher. »

Principaux quartets au FIJM

Yannick Rieu à la Cinquième Salle, 29 juin, 19 h

Manu Katché au Monument-National, 29 juin, 20 h

Ravi Coltrane Quartet au théâtre Maisonneuve, 30 juin, 20 h

Joshua Redman au théâtre Maisonneuve, 2 juillet, 20 h

Christine Jensen New York Quartet au Gesù, 3 juillet, 22 h 30

Jim Doxas Quartet à L’Astral, 5 juillet, 18 h

Donato/Bourassa/Lozano/Tanguay à L’Astral, 6 juillet, 18 h


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