À visage caché ou découvert, la même Safia transparente

Safia, avec Pomme, son ex, toutes deux masquées de cagoules noires pleines de brillants, chantent «On brûlera», brûlante chanson de leur amour, et puis reprennent «Comme des enfants», de Coeur de Pirate. C’est à la fois infiniment beau et déconcertant. Décalage et vérité à la même enseigne.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Safia, avec Pomme, son ex, toutes deux masquées de cagoules noires pleines de brillants, chantent «On brûlera», brûlante chanson de leur amour, et puis reprennent «Comme des enfants», de Coeur de Pirate. C’est à la fois infiniment beau et déconcertant. Décalage et vérité à la même enseigne.

Et voici… Safia Nolin ? Un travesti en vamp de trois mètres, toute en cuisses et en cuir, maquillée outrageusement, s’amène par le centre de la grande scène de la place des Festivals en ce dimanche de pleine Lune. Le personnage se déhanche gauchement, en fait trop, comme dans un bar topless crade au cube. « Je m’excuse de mon corps », mime la grotesque doublure… avec la voix de Safia. Un certain malaise, vous dites ? C’est voulu.

À la deuxième chanson, Technicolor, Safia est là en une série de photos en noir et blanc. Elle résonne en voix hors-champ. C’est très beau et très clair : on est passé du travestissement à la vérité nue. Mais toujours pas de Safia sur scène pour La neige. Puis on entend un long extrait de Radio X, où l’on raille l’auteure-compositrice-interprète avec une méchanceté désespérante : tous ceux et celles qui avaient essayé d’ignorer la radio poubelle de Québec ne peuvent pas se boucher les oreilles. Gros malaise, dites-vous ? Un moment terrible.

Voici finalement Safia, avec Pomme, son ex, toutes deux masquées de cagoules noires pleines de brillants comme des masques de lutte WWF. Elle chantent On brûlera, brûlante chanson de leur amour, et puis reprennent Comme des enfants, de Coeur de Pirate. « On s’aimera encore… » C’est à la fois infiniment beau et déconcertant. Décalage et vérité à la même enseigne.

À visage découvert

 

Safia rigole sous la cagoule, s’amuse à faire comme si de rien n’était. Chante et joue Etc., toute seule, la tête encore cachée. Et puis bon, elle arrête les frais; le choc du malaise et de l’empathie a eu lieu. Ses musiciens et elle retirent les masques. Et la chanson qui suit, France, berce d’abord, brasse ensuite, crescendo immense : c’est Safia comme on la connaît, intense et à visage découvert. À cela près qu’avec son groupe de musiciens, elle occupe moins l’espace : on y gagne dans le magnifique son d’ensemble, on y perd un peu l’écho de la plainte, on se surprend à l’écouter comme on écouterait un… Patrick Watson. Dans Je ne comprends pas, on ne cherche plus trop à comprendre, on reçoit les mots comme des phonèmes, instrument parmi les instruments. Et pourquoi pas si c’est beau ?

« Je voudrais vous présenter un ami à moi qui est barbu… » Et voici le Patrick Watson en question. Les timbres se marient magnifiquement pour Mélancolie. Harmonies aussi belles que la lune si pleine (Safia nous la fait regarder). Le temps s’arrête, la beauté l’emporte, et la victoire est célébrée par un Pat hilare. Et revoilà Pomme. « Comment tu te sens, pas de cagoule ? » lui demande Safia, et Pomme constate qu’on voit mieux la foule à visage découvert. « Je voudrais chanter la plus importante [chanson] que j’ai écrite de ma vie, mon hymne de lesbienne bilingue », annonce Safia. Et elles entonnent Lesbian Break-Up Song. Harmonisent à la fin.

La douleur, cette amie intime

 

On est touchés, c’est certain. Une histoire d’amour se joue devant nos yeux. Et que chante Safia ensuite, Pomme repartie ? Va t’en pas, de Richard Desjardins. Elle n’a vraiment pas peur de mettre le doigt dans la plaie, incroyable et intraitable Safia. Dans le vif de la douleur jusqu’au coude, jusqu’au cou. Elle a décontenancé au début, et maintenant elle bouleverse. « Le ciel était si bas que tombaient les oiseaux… » Son visage est dur, elle accuse le coup. « Tant que la mort n’est pas loin je pourrai passer », hurle-t-elle presque. De la scène jusqu’à la Catherine, pas un mouvement, pas une jasette. Totale attention : ce serait insultant, autrement. Il faut être entièrement avec elle, c’est la seule façon.

Répit jouissif à l’arrivée de Kroy (la Camille Poliquin de Milk & Bone, dans son incarnation solo) : une sorte de grand-messe heureuse pour Shalllow. Avec le texte anglophone à suivre en karaoké sur le grand écran. Harmonies, sing-along et communion. Elles chantent, dansent face à face. Honnêtement, ça fait du bien, cette séance de lâcher lousse collectif : respiration nécessaire.

On revient aux chansons douloureuses, pour l’hallali. Le peloton d’exécution, façon Safia. C’est la terrible et très belle Igloo, et c’est Encore, et c’est déjà la fin ? La vamp revient pour couronner Safia Nolin. Qui remercie les gens et son équipe, souhaite la bonne fête « à tous les pères sauf le mien ». « Supprimez Instagram, ajoute-t-elle. C’est le démon. » Et elle part, et elle revient, avec un petit garçon nommé Boris, lequel refuse de chanter avec elle Noël partout, préférant jouer à déplacer le micro pour placer Sofia dans de drôles de positions. Petit malaise ? À peine. Safia Nolin s’amuse, c’est l’essentiel. La foule scande : « Boris ! Boris ! » Qui ne chantera pas. Elle le prend dans ses bras et s’en va. C’est fini ? C’est fini.

L'histoire d'une chanson: Safia Nolin nous raconte Miroir
 

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