Le marketing de l’anniversaire en musique

Coffrets, rééditions, spectacles commémoratifs… le soufflage de bougies est une approche souvent utilisée dans le monde de la musique pour attirer l’attention. À la veille des Francos de Montréal et des autres festivals d’été qui jouent souvent ce jeu, Le Devoir s’est penché sur le marketing de l’anniversaire.
Dans un portrait où les médias en difficulté ne débordent pas de ressources culturelles et où l’industrie musicale a aussi besoin d’air, la célébration des anniversaires s’impose souvent comme une valeur sûre. Tant et aussi longtemps qu’on n’abuse pas du procédé, croient des acteurs du milieu.
Cette année, aux Francos de Montréal, la programmation met d’ailleurs en lumière certaines dates clés pour des créateurs d’ici. Sans Pression fêtera les 20 ans de 514-50 dans mon réseau, disque phare du rap québécois. Catherine Durand et Marc Déry souligneront chacun de leur côté leurs 20 ans de carrière en compagnie d’invités, alors que Luc De Larochellière revisitera son disque Amère America, qui soufflait en 2018 ses 30 printemps et qui revit le temps de quelques dates de spectacles.
C’est que la flamme vacillante des bougies allumées sur le gâteau attire avec force le public et les médias, en plus de faire plaisir aux artistes, croit Laurent Saulnier, vice-président à la programmation chez Spectra (Francos, Festival international de jazz de Montréal, entre autres).
« Il y a beaucoup d’effet médiatique là-dedans, mais en même temps, l’objectif reste quand même de souligner ou de célébrer un succès artistique », explique Saulnier, qui avoue que la question des anniversaires revient chaque année dans les discussions préparatoires de ses festivals.
Simon Fauteux, le patron de la boîte de relations de presse Six media, est un vieux de la vieille de la scène musicale d’ici. Lui-même fête cette année les dix ans de sa boîte.
Les anniversaires, « c’est vrai que c’est du marketing, lance-t-il, soulignant que cette carte est beaucoup plus jouée ailleurs qu’au Québec. C’est une façon de se dire que peut-être que les fans vont racheter ça, et de faire rouler l’économie du produit physique qui ne vend plus, ou pas mal moins ».
Fauteux et son équipe travaillent avec de nombreux artistes, en plus d’être en contact avec la plupart des journalistes culturels québécois.
« C’est nettement plus difficile aujourd’hui à cause du portrait médiatique qui est franchement différent de celui d’il y a dix ans, dit le passionné de musique. Il y a beaucoup moins de couverture qu’avant dans les médias traditionnels, et s’il y a plus de médias Web seulement, leur influence est plus difficile à cerner parce qu’il y en a beaucoup dans la masse. »
Aujourd’hui, observe Simon Fauteux, une simple sortie de disque n’est souvent pas un bon argument de vente. « Je comprends très bien que c’est moins intéressant, ç’a été fait et refait et refait. Ça prend une tournée, ça prend un truc spécial, un angle. »
Du côté de l’étiquette de disques Audiogram (Daniel Bélanger, Mara Tremblay, Pierre Lapointe) le marketing de l’anniversaire est une approche qui a été utilisée à plusieurs reprises, notamment pour son propre 30e anniversaire en 2014. L’approche continue de bien fonctionner, explique Alixe Hennessey-Dubuc, directrice marketing de l’étiquette, autant en matière de ventes que d’impact médiatique.
« Pour un média, c’est la facilité, dit sans jugement celle qui chapeaute aussi plusieurs nouveaux artistes, dont Choses sauvages ou Elliot Maginot. Tout le monde va s’intéresser à un album qui s’est jadis écoulé à 400 000 exemplaires. C’est normal, tout le monde a cette référence-là, énormément de personnes l’ont déjà acheté et écouté, et ça rappelle des souvenirs aux gens. On ne peut pas en vouloir aux médias de s’intéresser à ça, parce que ça intéresse les gens. »
L’anniversaire comme un hameçon, donc, mais le ver doit être encore grouillant. L’objectif principal, dit Laurent Saulnier, est quand même de souligner et de célébrer un succès artistique, une carrière ou un album. « S’il n’y a pas un vrai fondement artistique intéressant et important là-dedans, il n’y a personne qui va en parler », croit-il.
Simon Fauteux est lui-même un acheteur de coffrets anniversaires et de rééditions. « C’est un prétexte pour revaloriser de la musique excellente qui a été faite il y a 15 ou 20 ans et de faire en sorte que le plus grand nombre de fans puissent être créés, même si c’est de la vieille musique. » Mais comme Laurent Saulnier, il est clair sur une chose : « S’il n’y avait pas eu d’impact à l’époque, tu n’en auras pas plus maintenant. »
Si Fauteux n’est pas contre l’aspect nostalgique des fêtes musicales du genre, Saulnier préfère de loin quand il y a un aspect contemporain au résultat.
« Jusqu’à maintenant, on n’a jamais souligné un quelconque anniversaire autour de Georges Brassens aux Francos, illustre-t-il. J’ai jamais trouvé la bonne idée. Je me creuse la tête sur ça, mais c’est tellement identifié et identifiable que je ne peux pas demander à FouKi de faire Brassens. Ça n’a pas de sens. Il faut trouver une façon de le faire. »

Chez Audiogram, l’anniversaire d’un disque est parfois doublé d’une réédition en vinyle, par exemple, et devient une occasion de pousser sur les plateformes de streaming pour intégrer certains disques ou certaines pièces dans les listes de lecture. « Les artistes sont aussi gagnants et contents qu’on s’intéresse à leur catalogue », affirme Alixe Hennessey-Dubuc, qui parle de revitalisation de tous ces actifs.
Luc De Larochellière, dans la même veine, revisitera aux Francos de Montréal son disque Amère America. « Je fête un 30e anniversaire, mais c’est devenu une nécessité pour moi de faire quelque chose parce que ce disque-là, depuis 15 ans, il n’était plus disponible ni en formule physique ni même sur tous les iTunes » de ce monde.
Sur scène, il sera aussi accompagné de musiciens présents lors de l’enregistrement. « Tout le monde est payé, mais c’est vraiment le plaisir d’abord et avant tout qui ressort de cet exercice-là, estime le musicien. Si ce plaisir-là est partagé par les gens dans la salle, ça devient juste une grosse fête. »
Souffler les bougies, c’est aussi prendre le temps de souligner la durée dans le temps. Et le geste semble prendre une importance de plus en plus grande dans un contexte paradoxal où l’appétit pour la nouveauté est aussi grand que la chute des revenus des musiciens.
« Pense aux nouveaux artistes, dit Simon Fauteux. Dans 15 ans, avec les disques qui ne vendent pas, avec le streaming avec lequel ils ne font pas d’argent, avec la tournée qui est extrêmement difficile au Québec… rentabiliser ça, c’est dur. Et tout le monde vieillit, alors un moment donné tu fais : “OK, c’est beau, c’est assez.” »
Ou encore : que restera-t-il à fêter si on brûle la chandelle par les deux bouts ?