Berlioz mis en scène

Le concert de clôture de la saison 2018-2019 de l’Orchestre symphonique de Montréal propose un concept original mis en espace et en lumières par Alain Gauthier. Il est intéressant de voir que Kent Nagano, ici, et François-Xavier Roth (un des aspirants à sa succession), dimanche dernier à la Philharmonie de Paris avec son ensemble Les Siècles, ont tous deux associé la Symphonie fantastique et le rare Lélio, sa suite souhaitée par Berlioz.
La vidéo du concert du Roth librement accessible pendant trois mois sur le site de la Philharmonie permet de constater que l’idée majeure et déterminante du concert montréalais est d’aller au-delà de la musique en mettant en scène le personnage d’Hector Berlioz.
Lambert Wilson, héros de la soirée
L’intuition dramatiquement judicieuse est donc de commencer le spectacle par le thème de L’idée fixe tel qu’il a été transcrit au piano par Liszt. Sur cet Andante amoroso joué par Olga Gross, Lambert Wilson effectue la narration du programme de la Symphonie fantastique. Sachant que L’idée fixe, motif musical attaché à Harriet Smithson, ouvre et clôt également Lélio, le concept est logiquement ficelé d’un bout à l’autre de la soirée.
En effet, on découvre le personnage de Berlioz emporté par les tourments amoureux avant la symphonie qui les exprime. On le retrouve (après la pause) abattu par son séjour aux enfers dans la narration qui ouvre Lélio, une œuvre dont il est le fil conducteur et qui exprime une sorte de rédemption spirituelle par la musique.
Dans ce rôle, possédant et le personnage et le texte (par cœur !) avec une aisance confondante, Lambert Wilson a été très impressionnant. Il tombe sous le sens que, malgré ses qualités, le récit lu dans un cahier (comme on en a, hélas !, l’habitude), de manière certes engagée, plus fluide et simple, par Michel Fau à Paris n’a strictement rien à voir.
Pas sûr que tous ces efforts puissent réhabiliter Lélio au rang où l’espérait Berlioz, mais on ne peut mieux respecter et contextualiser cette œuvre très personnelle sur les tourments romantiques d’un créateur que l’ont fait Kent Nagano Alain Gauthier et Lambert Wilson. Le moment le plus poignant de Lélio est finalement le « Chant de bonheur », un adagio intimiste du ténor avec orchestre réduit et harpe, suivi du récit « Oh !, que ne puis-je la trouver ? » et du larghetto intitulé « La harpe éolienne ».
Là se niche peut-être la malédiction de Lélio : on attend Berlioz dans les déchaînements, alors que le sublime s’y cache dans le plus intime, puisque l’œuvre est intime !
Musicalement, l’OSM et son chef ont été acclamés pour leur Symphonie fantastique analytique et très cadrée, loin des fulgurances dionysiaques, hors cette accélération finale (mal amorcée mercredi) si artificielle puisqu’elle n’est dans le prolongement d’aucun élan précédemment esquissé.
L’originalité est la surprenante présence de six harpes au premier plan. La Symphonie fantastique est orchestrée pour deux harpes, mais la partition de l’édition Berlioz de Bärenreiter précise que Berlioz les souhaitait au moins doublées. Le positionnement est une nouvelle vogue. Roger Norrington a l’habitude de placer deux harpes devant l’orchestre, François-Xavier Roth en met quatre, Nagano en a mis six. Tant qu’à mettre Berlioz en scène et quitte à nous répéter, il serait plus intéressant de considérer la version avec cornet, car comme Tchaïkovski se dépeignant solitaire dans le tumulte du finale de sa 4e Symphonie, le cornet solo pourrait bien être Berlioz spectateur du « Bal de l’amour » qui tournoie sans lui…
Quant à Lélio, où les chanteurs Frédéric Antoun et Dominique Côté ont correctement apporté leur contribution (ne pas manquer Michael Spyres et Florian Sempey dans le concert parisien…), on y retrouvait les mêmes qualités de limpidité du tandem Nagano-OSM. Mais Berlioz est plus sanguin. Les paroles « Les plus cruels ennemis du génie […] sont ces tristes habitants du temple de la routine […] Pareille société est pire que l’enfer pour un artiste […] dussé-je n’être que simple brigand… […] voilà la vie ! » introduisent la Chanson de brigands. Or, pour savoir ce qu’est une Chanson de brigands chez Berlioz, nous ne pouvons que vous recommander d’aller jeter un œil à la vidéo parisienne (1 h 28 min).
L’esprit, la sève, la viscéralité de Berlioz se concentrent dans ces deux minutes. Quand on n’a pas cela dans ses veines ou son système d’esthétique musicale, on ne peut ni l’inventer ni le recréer.