Le Festival international de musique actuelle de Victoriaville, toujours aussi fort à 35 ans

Joane Hétu et le Festival international de musique actuelle de Victoriaville ont grandi main dans la main, pourrait-on dire.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Joane Hétu et le Festival international de musique actuelle de Victoriaville ont grandi main dans la main, pourrait-on dire.

Pour sa 35e édition, débutant jeudi, le Festival international de musique actuelle de Victoriaville (FIMAV) réinvite ses vieux amis, parmi lesquels Peter Brötzmann et Keiji Haino, et accueille la relève, comme le trio du jeune guitariste français Julien Desprez. Discussion sur la pérennité de la scène musicale défendue par le FIMAV avec deux générations de musiciens « actuels » d’ici, la défricheuse Joane Hétu et le duo Political Ritual.

Joane Hétu et le FIMAV ont grandi main dans la main, pourrait-on dire. « Je le fréquente depuis sa deuxième édition », note la compositrice, interprète et chef d’orchestre qui a fondé, avec son amie Danielle Palardy Roger, la plus importante structure québécoise consacrée à la musique actuelle, Productions SuperMémé (rebaptisée SuperMusique en 1991), il y a quarante ans — cinq ans plus tard, en 1984, la boîte se dotait d’une étiquette de disques, Ambiances Magnétiques, qui a depuis édité plus de 250 oeuvres enregistrées.

« On ne savait pas trop ce qu’on faisait à cette époque, au début des années 1980, raconte Joane Hétu. Cette musique n’avait pas de nom, on pensait qu’on était les seuls au monde à en faire, puis est arrivé le Festival international de musique actuelle de Victoriaville ». Le FIMAV, suggère Réjean Beaucage dans son récent livre Musique actuelle – Topographie d’un genre (éditions Varia), a contribué à définir les contours de cette insaisissable musique, dont les « ingrédients fondamentaux » sont « l’improvisation, le jazz et le rock d’avant-garde ».

D’une manière, les étiquettes musicales sont de moins en moins distinctes. Par exemple, de la musique actuelle, il y en a dans la musique contemporaine, il y en a à MUTEK, et à l’inverse, il y a de l’électro dans la musique actuelle. Les genres musicaux se sont davantage mélangés, et tout le monde s’influence mutuellement.

Ingrédients auxquels nous pourrions désormais ajouter les musiques électroniques, à en juger par l’invitation faite par le FIMAV au duo Political Ritual. « Les musiciens de ma génération arrivent [au festival] avec une énergie différente, des influences différentes, une approche aussi différente [face à] la musique improvisée », estime Félix-Antoine Morin, qui forme Political Ritual avec Maxime Corbeil-Perron et qui dirige en parallèle l’éclectique et exploratrice étiquette de disques Kohlenstoff. « L’influence des musiques électroniques est imprégnée et s’entend même si on joue du violon, disons. Ce background électronique avec lequel on a grandi influence notre manière d’improviser. »

« Oui, cette musique a changé » depuis la fondation du FIMAV, abonde Joane Hétu qui proposera dimanche une nouvelle création, Lucioles (coécrite par Jean Derome et Danielle Palardy Roger), interprétée par la « chorale bruitiste » JOKER, qu’elle a fondée il y a sept ans en s’inspirant de la démarche de la compositrice torontoise Christine Ducan et de sa Element Choir.

« D’une manière, les étiquettes musicales sont de moins en moins distinctes [aujourd’hui dans la musique actuelle]. Par exemple, de la musique actuelle, il y en a dans la musique contemporaine, il y en a à MUTEK, et à l’inverse, il y a de l’électro dans la musique actuelle. Les genres musicaux se sont davantage mélangés, et tout le monde s’influence mutuellement. Après, il y a des spécificités propres à la musique actuelle : par exemple, je crois qu’il y a la plus grande variété de lutheries, instruments acoustiques, électriques, électroniques. Aussi, cette propension à mettre sur un même niveau le compositeur, le chef d’orchestre et l’interprète. »

Et, encore, l’improvisation. Chez Political Ritual, qui a lancé un album de drone électronique bruyant mais tonal en janvier 2018 et dont le matériel sera revisité jeudi soir, tout commence dans le chaos : « Lorsqu’on commence nos pratiques, chacun de son côté se met à émettre des sons — lui travaille la rythmique, la lutherie électronique, donc des sons plus électroniques, alors que moi je travaille surtout avec des instruments acoustiques dans une approche non traditionnelle. C’est le chaos, le bordel, du bruit, puis tranquillement, y a comme une forme qui se crée là-dedans. On essaie de s’accrocher à elle, puis ça devient quelque chose à partir de quoi on peut continuer à improviser. En résumé, on crée un chaos qu’on tente d’organiser — ou l’inverse, on part de quelque chose d’organisé pour le déconstruire, ce qui est somme toute assez classique comme approche… »

Le tout servi à la puissance maximale : « On aime jouer très fort, on aime ressentir les vibrations dans le corps et les communiquer. Au FIMAV, ils ont la réputation de ne pas décevoir, côté volume, grâce à de bons sonorisateurs et de bons systèmes de son… » Et ce, depuis 35 éditions !

Quatre concerts à vivre au festival

Première apparition au FIMAV pour l’excroissance amplifiée du réputé ensemble américain Bang on a Can, qui, depuis plus de trois décennies, promeut les musiques contemporaines. Au programme, des oeuvres de Steve Reich, Jóhann Jóhannsson, Christian Marclay, Nicole Lizée, René Lussier et Richard Reed Parry, entre autres.

Bang on a Can All Stars
Jeudi 16 mai, 22 h, Colisée A

Entre musique concrète, krautrock et musiques électroniques, le duo britannique Tomaga — Valentina Magaletti aux percussions et au vibraphone, Thomas Relleen aux claviers et à la basse — esquisse de planantes atmosphères rehaussées par la complexité de leurs structures rythmiques. On peut s’attendre à découvrir les compositions de leur prochaine parution, Extended Play 1, attendue en juin.

Tomaga
Vendredi 17 mai, minuit, Colisée B

Alléchante rencontre sur scène de deux singuliers musiciens appartenant à des générations, et à des scènes musicales, différentes. La poète, compositrice et militante américaine Camae Ayewa, alias Moor Mother, explore passionnément les marges du rap et le fera à Victoriaville aux côtés du légendaire saxophoniste Roscoe Mitchell, cofondateur du Art Ensemble of Chicago.

Moor Mother/Roscoe Mitchell
Samedi 18 mai, 20 h, Carré 150

L’un des plus brillants pianistes jazz de sa génération, également compositeur, chef d’orchestre et professeur à Harvard, Vijay Iyer s’amène dans le Centre-du-Québec avec l’ensemble de son récent album Far from Over, perle jazz de 2017 parue chez ECM. Ce concert du sextuor s’annonce déjà comme l’un des sommets de la 35e édition du festival.

Vijay Iyer Sextet
Samedi 18 mai, 22 h, Colisée A


Une version précédente de cet article comportait une erreur dans l'attribution de la co-écriture de l'oeuvre Lucioles. Nos excuses.

Joane Hétu/JOKER // Political Ritual

Dimanche 19 mai, 20 h, au Carré 150 // Jeudi 16 mai, minuit, au Colisée B



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