Les zones d’ombre d’Adamus

«J’ai frappé mon mur de la quarantaine et, veut, veut pas, je pense que ça paraît sur le [nouveau] disque.»
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «J’ai frappé mon mur de la quarantaine et, veut, veut pas, je pense que ça paraît sur le [nouveau] disque.»

« J’ai eu le même feeling en entendant ce nouveau disque de A à Z que lorsque j’ai entendu pour la première fois Numéro 2, mon deuxième album, glisse Bernard Adamus. Je me suis dit : “Tabarouette, qu’est-ce que je viens de raconter là ?” » C’est ce qui stresse l’auteur-compositeur-interprète, quelques jours avant que le public découvre les dix nouvelles chansons de C’qui nous reste du Texas, son quatrième album studio : « Est-ce que les gens vont trouver ça pertinent », un disque qu’il décrit comme étant « le plus personnel » qu’il ait offert en dix ans de carrière ?

La veille de notre rendez-vous, Adamus passait la soirée avec son ami Éric Villeneuve, réalisateur de ses trois premiers disques — pour le dernier, c’est Tonio Morin Vargas qui assure la réalisation, sans dévier du son établi depuis ses origines, ses chansons enregistrées live, le blues et le folk qui s’emmêlent, avec une touche de jazz (sur L’erreur), ses clins d’oeil au Tom Waits classique (Le ciel), « y’a de la guit’ électrique aussi, c’est relativement nouveau », comme sur Entre les lignes, la plus rock de son répertoire, sertie d’un bref mais intense solo de saxophone du héros obscur de l’album, Benoit Deschamps.

Bref, Adamus et Villeneuve ont trinqué à la sortie de son premier disque autoproduit, Brun, paru en mai 2009. Autour d’un verre, ils ont mesuré le chemin parcouru en dix ans. « J’ai frappé mon mur de la quarantaine et, veut, veut pas, je pense que ça paraît sur le [nouveau] disque. Y’a beaucoup de références au temps » qui passe.

Dès Chipotle, qui ouvre le disque qu’Adamus décrit comme le plus difficile qu’il ait eu à faire : « Dans 2 heures ça va faire 20 ans que j’t’en amour / Pas yinque avec toi / Mais avec toi c’est pour toujours / Toujours que’que chose / Faut que quelqu’un soit content / Content d’être ben / J’aurais voulu vouloir rien »… Le temps qui passe, mêlé à une confession d’infidélité et à l’admission d’être heureux même s’il aurait « voulu vouloir rien ». L’album est farci de ces strophes sibyllines qui forcent l’auditeur à lire entre les lignes. « Oui, je sais, reconnaît l’intéressé. Ce n’est pas très grave puisque de toute façon, ça m’appartient. Mes zones d’intimité. »

Aimer sa job et la renier

 

Où il a eu besoin de se retrancher après, dit-il, après avoir réalisé être « écoeuré ; je n’avais plus de fun d’être en show tout le temps, jamais chez vous, tout le temps dans un truck ». C’était le temps de prendre une pause, de partir seul pendant cinq mois aux États-Unis qu’il avait déjà traversés il y a vingt ans.

« Chipotle, j’ai écrit ça quand je suis retourné dans une ville où j’étais allé il y a exactement 20 ans, Tucson, en Arizona. […] Arrivé sur le pouce, je suis revenu en autobus. […]. Bref, ça faisait 20 ans que je n’étais pas allé là. Et ça m’a donné un pas pire coup : tabarouette, il s’en est passé des affaires, quand même, en 20 ans ! Je ne suis plus le jeune ti-cul sur le pouce avec 100 piasses dans les poches, t’sais. J’y suis retourné bien à l’aise dans mon camper, avec pas vraiment de soucis. »

Depuis sa percée en 2009, « je me suis quand même bâti une drôle de vie de freak », à coups de chansons, de tournées, de dérapes aussi comprend-on à l’entendre admettre avoir « fait le fou, pis des fois, pété des coches », d’où son besoin de prendre une pause avant de relancer le bal avec ce quatrième album. « C’est quand même émouvant de réaliser que c’est ça que tu fais dans la vie », écrire des chansons, les présenter sur scène. « C’est quand même une job où y’a beaucoup d’appelés et très peu d’élus. »

Sur la chanson L’erreur, justement, « j’évoque le fait que c’est rendu ma job, que je l’aime autant que je la renie, ma job. Ensuite, est-ce que c’est pertinent pour un artiste d’émettre comme ça ses états d’âme ? » Adamus ne s’épanche pas trop sur les mois de répit qu’il sentait devoir s’accorder après la tournée du précédent album Soviet, So What ? d’il y a quatre ans. Sinon, sur la chanson Entre le bleu pis l’vert : « Qu’est-ce qu’y dit ? C’est l’heure de s’taire / Où qu’y va A’ec ses bottes dins airs ? Pourquoi ici ? / Me semble que c’tait ça qu’j’t’ais v’nu faire / Rendu à mer / Entre le bleu pis l’vert. »

« L’image est là, estime-t-il. C’est ça que je me disais : “Ouf, yé rendu fatigué, le bonhomme.” Mais je ne sentais pas le besoin de m’étendre plus qu’il ne le fallait là-dessus. Si ça avait eu à sortir [en chanson], ce serait sorti, je ne suis pas gars qui me censure beaucoup, même quand c’est cru, ça ne me dérange pas ben ben. »

C’qui nous reste du Texas

Bernard Adamus, Grosse Boîte