Les Canucks à l’assaut du blues

Mais d’où vient-elle, cette voix ? Du South Side ou du West Side de Chicago ? Ou alors de Motown, de Detroit, mais pas de Nashville, hein ? Vous dites… De Perth-Andover, Nouveau-Brunswick ? Non ! Oui ? D’accord ! Mais l’autre, l’encyclopédiste de tout ce qui compose ce que les jeunesses nomment l’americana, il doit venir du milieu. Pas celui de l’Empire, mais le milieu géographique, celui qui est situé entre Chicago et ce croisement du Mississippi où Robert Johnson a vendu son âme au diablotin. Non ? Comment ? Il vient de Toronto ? Zut alors ! Bon, reprenons au ras des tulipes. Après tout, c’est de saison.

Le premier, celui qui est propriétaire d’une voix de cador, s’appelle Matt Andersen et il nous propose un album intitulé Halfway Home by Morning sur l’étiquette True North, fait uniquement de ses chansons. Juste pour ça, on dit bravo. Le deuxième, le savant, se nomme Colin Linden et nous propose, lui, un disque baptisé… Amour ! Oui, en français de Pézenas, là même où Molière a expiré. Amen !
Si cela fait longtemps que l’autre s’est couché de bonne heure — le pôvre ! —, cela fait longtemps-longtemps que l’on aime et suit sir Linden. Donc, à lui l’honneur. Au cas où on ne saurait qui est ce quidam, faisons les présentations. Ce chanteur-guitariste spécialiste de la slide a collaboré avec Bob Dylan, les frères Cohen, Lucinda Williams, The Band, T-Bone Burnett, Buddy Miller et très souvent avec sa bonne amie Emmylou Harris. Quoi d’autre ? Il est la cheville ouvrière du meilleur groupe Canadian qui soit : Blackie and The Rodeo Kings.

Son nouvel album, maître Colin l’a réalisé avec celui qui est la contradiction du tire-au-flanc du blues, soit le guitariste Luther Dickinson, fils du légendaire producteur Jim Dickinson, mais surtout chanteur du North Mississippi Allstars. Enregistré à Nashville, cet album est fait de reprises de vieux jazz, de vieux rock et surtout de vieux blues, dont une interprétation à se rouler par terre de Honest I Do de ce cher Jimmy Reed.
Là où Linden a été malin en diable, c’est qu’il a délégué à des femmes le soin de chanter les mots écrits par des tiers. Ces dames ont de ces voix à faire damner le… diable en personne ! C’est pas des blagues. Bonté divine, ces voix qui forment les Tennessee Valentines ! Ce n’est pas qu’elles sont justes. Elles sont tout bêtement, tout simplement, belles. Belles à faire chavirer les vieilles pleureuses méditerranéennes. Amen (bis) !

Ajoutons à cela ceci : la production, la manière de jouer, a ce quelque chose de cru, de profond, qui donne à l’ensemble une authenticité de plus en plus rare en cette époque numérisée par Google. Grrrr… Bon, Colin Linden est un artiste remarquable, car à chaque album qu’il propose il augmente l’admiration qu’on lui porte. C’est dire ! À quand le prochain Blanchie and The Rodeo Kings !
On se demande encore comment Matt Andersen est parvenu à réussir le prodige suivant : fondre les accents chers à The Band, les intonations de Marvin Gaye, les arrangements de brass qui ont fait la réputation de Memphis, les mots du juste et du sensible. Comment donc ? On ne le sait pas. Mais qu’est-ce qu’on se régale.