Jesse Mac Cormack, qui l’aime le suive

Ça y est. Now, maintenant, comme le titre de l’album. Il était temps : l’auteur, compositeur, interprète et réalisateur montréalais Jesse Mac Cormack lance enfin son premier disque, après trois EP d’un folk-rock romantique qui lui a fait gagner des adeptes hors de nos frontières. Il ne sait pas encore si son virage pop-rock aura le même succès, mais il a hâte d’en avoir le coeur net : « J’aime ça en estie faire de la scène, échappe Mac Cormack entre deux cuillerées de chili végé. La tournée, c’est extrêmement nourrissant. »
La scène le démange, ça se sent. Plus qu’il ne l’exprime, d’ailleurs ; Jesse Mac Cormack est un homme de peu de mots. Le regard fuyant, comme si dix mille trucs différents lui trottaient dans la tête. Si seulement il avait un agenda… « Je ne suis pas très bon avec les horaires », dit-il pour s’excuser de son (léger) retard. « Je ne note pas mes rendez-vous. Ça m’arrive d’avoir deux engagements en même temps. » Quand ce sont deux musiciens différents qui doivent le retrouver à son studio du centre-ville, c’est moins pire : « Dans ce cas-là, on jamme tout le monde ensemble ! »
Le studio, c’est chouette, c’est même une part essentielle de sa vie de musicien, mais le contact avec le public lui est nécessaire. Vivement le début de la tournée, le 22 mai à Londres, à Paris deux jours plus tard, puis Amsterdam, Hambourg, la Suisse, l’Allemagne encore, et de retour de ce côté-ci, New York, Philadelphie, Los Angeles, Seattle dès la mi-juin, jusqu’à son Club Soda le 28 juin, à l’affiche du Festival international de jazz de Montréal.
La semaine dernière, tenez, son bouchon a sauté. Sur la petite scène du Quai des brumes. Un concert du groupe Dunes qu’il forme notamment avec son partenaire de studio Benji Vigneault. « Attends, Dunes, ça prend-tu un “s” ? Je pense que ça prend un “s” à la fin… En tout cas, on fait de l’afrobeat, mais vraiment dans le tapis. » Le groupe s’active sur scène depuis presque trois ans, mais n’a encore rien enregistré. On imagine ce projet comme un laboratoire vivant donnant l’occasion à Mac Cormack de se délier les doigts devant public, avec des chansons originales et des reprises : « D’habitude, on fait deux sets ; ce soir-là, on n’en a fait qu’un seul, sans arrêt. À la fin, on était tellement réchauffés, j’étais… » Mac Cormack se tait et fronce les sourcils en serrant les poings pour signifier qu’il était gonflé à bloc ce soir-là.
Virage
Il l’admettra sans gêne : à l’origine du virage plus rock et rythmé de Now, l’envie d’avoir quelque chose d’explosif à offrir aux spectateurs. « Quand j’ai terminé la tournée après mon dernier EP [After the Glow, 2016], j’ai vraiment senti que ça me prenait plus de chansons rythmées, des chansons qui seraient le fun d’entendre en concert, qui seraient plus entraînantes pour les gens. »
Ainsi, ce premier disque complet de Mac Cormack surprendra les fans — surtout à la première écoute de la face A. Le musicien au timbre sensible et au trémolo unique a bâti sa notoriété sur un folk d’ambiance en phase avec les courants de la musique indie d’il y a quatre ou cinq ans. Ce nouvel album débute pourtant avec le rythme de Give a Chance,linéaire et progressif, mais un vrai rythme bien mis en évidence et révélant un autre niveau d’intensité que celui, plus contrit, auquel il nous avait habitués. « Pas mal de ces chansons ont été écrites à partir d’un beat », indique le musicien.

Sur la suivante, No Love Go, on plonge dans le new wave à l’anglaise, les synthés qui rayonnent au-dessus des guitares en donnant du souffle à l’accrocheuse mélodie vocale. C’est pourtant le vaporeux solo de saxophone millésimé années 1980 qui vole la vedette durant le planant coda de la chanson. Après, on plonge dans un rock-pop chaleureux, vaguement blues, avec un solo de guitare qui sonne comme ceux de The Edge de U2. Après, ça dérape dans tous les sens et avec la même profonde intensité, c’est pop-rock, blues-rock, on croit même reconnaître du Led Zeppelin dans la progression d’accords de la chanson-titre — « C’est vrai que ça sonne un peu comme Misty Mountain Hop », concède Mac Cormack en jouant les accords avec ses doigts.
Chez lui en studio
Lorsque l’ancien étudiant au programme de guitare jazz du cégep Marie-Victorin a lancé son premier EP (Music for the Soul, 2015, déjà chez Secret City Records), « je n’avais aucune idée de ce que je faisais. Je voulais juste que ce soit le plus “roots” possible. Aller à l’essentiel, aux chansons. » Il venait de monter son premier studio, dans le garage chez sa mère, dans Hochelaga-Maisonneuve. Un rêve qu’il a eu en visitant celui d’Éloi Painchaud pendant l’enregistrement du premier disque d’Émilie Kahn (alors Émilie & Ogden), que Mac Cormack a réalisé. « Il a tout un studio… L’ambiance de l’endroit, le fait qu’il soit chez lui, cet endroit m’a parlé. En me couchant, j’ai vérifié le prix des pièces d’équipement qu’il avait. Je me suis dit : “O.K., c’est cher, mais c’est faisable…” »
Une chose que les fans de la première heure reconnaîtront dans Now : la qualité de la réalisation ; ce disque est somptueux. Confus dans les directions musicales qu’il emprunte, du new wave au blues-rock, en passant par les ballades arrache-coeur façon Hurricane en fin de disque. Mais impeccablement réalisé.
Comme toujours, d’ailleurs. En cinq ans, Jesse Mac Cormack s’est imposé comme l’un des réalisateurs et collaborateurs les plus en vue de la scène musicale québécoise. Plus que ça : tout le monde (ou presque) sur la scène a envie de travailler avec lui ou bien admire sa vision musicale. Ce gars-là n’a pas d’ennemis, en tout cas pas à notre connaissance. « Ça, ça me met de bonne humeur ! » répond-il.
Quand j’ai terminé la tournée après mon dernier EP, j’ai vraiment senti que ça me prenait plus de chansons rythmées
En 2012, il avait réalisé déjà le premier EP de Mélanie Boulay, un an avant la sortie du premier disque des Soeurs Boulay. Il a travaillé sur le premier album de Mon Doux Saigneur et réalise le prochain, ainsi que celui de Rosie Valland, qui travaille avec Mac Cormack depuis 2015. Il a prêté sa voix à l’excellente Keep It Real du compositeur-remixeur house montréalais CRi, et « il y a plein d’autres chansons qu’on a enregistrées ensemble qu’il n’a pas encore sorties » — mieux encore, Mac Cormack assure être en train de mijoter un projet de musique électronique, invitant un tas d’amis musiciens à venir collaborer sur ce futur album qu’il lancera un jour sous un pseudonyme. « C’est de la musique de nuit, de fond de club sombre, pour faire danser les gens », se limite-t-il à dire.
Il a aussi coréalisé Le silence des troupeaux de Philippe Brach, mais son projet le plus abouti, le mieux cerné, demeure celui d’Héléna Deland, un talent brut qui n’attend qu’à exploser sur la scène internationale. « C’est drôle que tu dises ça, on est justement ensemble en studio aujourd’hui. Je pense que c’est un bon mariage, son univers avec le mien. Sa musique me parle beaucoup. J’aime travailler avec les autres. Toujours un échange, deux musiciens qui s’inspirent entre eux. Moi, ça me permet de faire autre chose, d’entendre d’autres genres de textes, et d’essayer des affaires en studio que je n’aurais pas nécessairement été porté à essayer dans mes projets. Ça me nourrit. »
Justement, on le sent impatient de retourner à l’ombre de son studio : il jette des regards de plus en plus fréquents sur l’écran de son téléphone portable qui s’illuminait constamment durant notre conversation. « Si je suis nerveux de l’accueil qu’on fera à mon disque ? Je sais pas, man… Je veux juste avoir du fun. Je ne suis pas vraiment nerveux. Le disque sort, mais ce n’est pas ce que j’ai en tête — je veux dire, je suis excité, mais je suis déjà en train de faire d’autre chose. Je m’arrange pour qu’au moins un musicien différent vienne au studio à tous les jours. Juste pour faire quelque chose et pour ne pas être seul. »