Yannick Nézet-Séguin embrasse la cause féminine

Les femmes se taillent des places de choix dans les rouages du classique, jusqu’au poste tabou, celui de chef d’orchestre. Plutôt que d’être spectateur du phénomène, Yannick Nézet-Séguin a décidé d’en être un acteur et promoteur.
Photo: François Goupil Les femmes se taillent des places de choix dans les rouages du classique, jusqu’au poste tabou, celui de chef d’orchestre. Plutôt que d’être spectateur du phénomène, Yannick Nézet-Séguin a décidé d’en être un acteur et promoteur.

Longtemps marginalisées, les femmes se taillent des places de choix dans tous les rouages de la musique classique, jusqu’au poste le plus tabou, celui de chef d’orchestre. Plutôt que d’être spectateur du phénomène, Yannick Nézet-Séguin a décidé d’en être un acteur et promoteur.

La brochure de la saison 2019-2020 de l’Orchestre Métropolitain, publiée vendredi, n’est pas simplement un vent d’air frais pour ceux qui souhaitent réserver une place croissante aux femmes en musique. C’est une bourrasque, puisque quatre des cinq chefs invités par l’OM la saison prochaine sont des femmes !

Cette initiative du directeur musical de l’OM, Yannick Nézet-Séguin, fait suite à celle qu’il a annoncée à New York en septembre au Metropolitan Opera aux côtés de Peter Gelb, directeur de l’institution : la commande par le Met de deux opéras aux compositrices Missy Mazzoli et Jeanine Tesori, une première en 130 années d’existence de l’institution. La prochaine saison de l’Orchestre de Philadelphie, qui reste à dévoiler, ne devrait pas déroger à la tendance.

Un geste nécessaire

 

« Il s’agit de poser un geste concret », signifie Yannick Nézet-Séguin au Devoir. Si le Metropolitan Opera n’a, dans son histoire, présenté que deux opéras composés par des femmes, Der Wald d’Ethel Smyth en 1903, pour deux représentations (couplées avec Verdi et Donizetti pour s’assurer d’attirer l’auditoire), et L’amour de loin de Kaija Saariaho en 2016, à Montréal, « les femmes font partie de l’ADN de l’Orchestre Métropolitain », selon le chef.

« Lors de la fondation de l’OM, de nombreuses femmes étaient déjà à des postes clés, entre autres celui de violon solo, Denise Lupien. Il y a une parité, il y a eu une directrice musicale, Agnès Grossmann. Et depuis 20 ans, plusieurs oeuvres ont été commandées à des femmes. Nous avons aussi eu des femmes sur le podium, Keri-Lynn Wilson, Tania Miller, Dina Gilbert, Mélanie Leonard, mais cette fois-ci je voulais que nous fassions un portrait international de femmes chefs. »

Le directeur musical de l’OM reconnaît qu’il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, mais « poser un geste concret, c’est poser un geste non pas courageux, mais nécessaire. Les femmes, notamment des compositrices, ont été ignorées pendant des siècles. Mais lorsque des membres du public vont avoir devant eux de la musique écrite par des femmes ou des femmes qui dirigent, cela va accélérer la prise de conscience d’une représentativité qu’on se doit de leur donner. »

Photo: Matthew Perrin Marina Thibeault

Alondra de la Parra, Han-Na Chang, Jane Glover et Elim Chan sont « quatre représentations de types de talents que nous avons dans le monde ». « Nous avions identifié Han-Na Chang parce que nous voulions poursuivre le cycle Chostakovitch et que je ne voulais pas diriger les 15 symphonies à raison d’une symphonie par année. J’aime l’énergie et le rythme d’Alondra, et Jane Glover dirige régulièrement à Philadelphie et au Met. » Quant à Elim Chan, la première lauréate du concours Donatella Flick, elle a dirigé à Rotterdam et on se doute que Yannick Nézet-Séguin a eu des échos favorables de première main avant de l’engager à Montréal. « Nous avons beaucoup d’autres idées. Ce n’est pas un coup qui ne se reproduira pas. Vous pouvez vous attendre à ce que les saisons prochaines soient de la même eau. »

Photo: Felix Broede Kopie

Alondra de la Parra

Si Yannick Nézet-Séguin souligne qu’il s’inscrit dans une continuité, on lui fait remarquer qu’il met le turbo : « Tant qu’on ne met pas le turbo, on ne fait qu’en parler et cela reste au niveau des intentions. Ces noms étaient sur nos listes. Nous avons simplement décidé de passer à l’acte. »

Le chef se défend de vouloir donner dans le politiquement correct à base de quotas : « Je ne crois pas aux quotas et mon critère, c’est avant tout la qualité. Nous n’avons pas besoin de quotas ; nous avons besoin de gestes pour donner aux plus jeunes femmes au Québec envie de devenir chefs d’orchestre ou compositrices. Nous savons que dans nos écoles de musique, nous avons une majorité de femmes parmi les instrumentistes, mais certains segments de notre profession sont sous-représentés. »

Photo: Sheila Rock Emi Classics Han-Na Chang

Étape suivante, les compositrices : pourra-t-on entendre la romantique Louise Farrenc ou la contemporaine Jennifer Higdon à Montréal ? « J’aimerais beaucoup. Cela va venir… »

Pendant ce temps à New York

La question de la représentation des femmes s’est posée de la même façon au Met, mais avant de voir des effets concrets, cela prend beaucoup plus de temps en matière de planification et de gestation des oeuvres. Le projet présenté en septembre dernier découle d’un changement de stratégie : « J’essaye de nous positionner au Metropolitan Opera au centre de la création musicale, c’est-à-dire de ne pas être en attente de la nouvelle grande oeuvre qui a eu beaucoup de succès dans le monde et qu’on va reprendre, mais d’être le générateur de rencontres entre de grands artistes. » À ce compte-là, on parle de six ou sept ans entre le contact avec le compositeur et la création.

Après la genèse initiale, Yannick Nézet-Séguin insiste beaucoup sur la période d’atelier, le « workshop », qui dure au moins un an pendant lequel des commentaires entraînent des réécritures qui aboutissent à l’édition de l’oeuvre. « Pour que notre nouvelle stratégie fonctionne, il faut que je sois impliqué dès le début, notamment que je puisse guider le processus de workshop et de la première. Cela veut dire que pour la nouvelle oeuvre commandée à Missy Mazzoli, on parle de 2026 ou 2027, car le premier des critères, c’est la qualité à tout prix. Aller trop vite ne servirait personne et surtout pas les femmes ou les minorités sous-représentées. »

Un autre champ reste à défricher à l’opéra : la mise en scène. On a vu, à New York, ce que Julie Taymor a apporté à La flûte enchantée. « Alors là, oui ! » acquiesce Yannick Nézet-Séguin « Il y a la composition, la direction d’orchestre, mais à l’opéra, la mise en scène est un jeu de point de vue et ce qui nous manque cruellement, c’est un point de vue différent de celui d’un homme de race blanche d’un certain siècle. Il y a un coup à jouer et nous parlons à des gens pour leur demander de considérer l’opéra comme un univers propice à leur vision du monde. Un grand opéra traditionnel mis en contrepoint avec (je rêve) une femme africaine-américaine qui puisse nous donner son point de vue sur la même histoire, les mêmes relations sociales, cela m’intéresse beaucoup. »

Sur le plan de la création à l’opéra, le chef a beaucoup d’espoir : « Je me rends compte que dans les nouveaux opéras, il y a beaucoup de librettistes femmes. Je suis très curieux de voir dans quelques années si la majorité de ces histoires vont changer notre perspective et faire en sorte de donner — parallèlement au répertoire — beaucoup plus d’espace aux perspectives actuelles, plus diversifiées et représentatives de notre société. »

Festival du Palazzetto Bru Zane

La Fondation Arte Musica s’est associée au Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française de Venise, dans l’organisation d’un festival concentré sur trois journées en fin de semaine prochaine. Le directeur artistique du Palazzetto, Alexandre Dratwicki, prononcera une conférence samedi à 14 h sur la mise en scène de l’opéra français à l’époque romantique. Vendredi soir, Jean-François Lapointe, les Violons du Roy, Mathieu Lussier et la harpiste Valérie Milot donneront un programme érudit et de mélodies et danses. Samedi, le concert le plus original,Votez pour moi !, explorera les relations entre musique et politique à diverses époques à travers des oeuvres satiriques ou propagandistes. Le dimanche sera partagé entre un concert jeune public à 11 h et un récital de Pascal Amoyel et Emmanuelle Bertrand à 14 h. À la salle Bourgie du vendredi 8 au dimanche 10 mars.


À voir en vidéo