Airs de révolutions pour Dominique Fils-Aimé

«L’affaire SLAV a nourri l’écriture du nouvel album, mais elle a surtout donné de la crédibilité à mon processus», estime l’auteure-compositrice-interprète.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «L’affaire SLAV a nourri l’écriture du nouvel album, mais elle a surtout donné de la crédibilité à mon processus», estime l’auteure-compositrice-interprète.

On pourrait croire que Dominique Fils-Aimé est prophète. Lorsque paraît Nameless en février 2018, un disque de soul imbibé de la souffrance des esclaves, de leurs chants, de leur blues et des mots de la poète Maya Angelou, personne encore n’anticipait le grand débat de société qui allait prendre le Festival international de jazz de Montréal à la gorge avec SLĀV — festival auquel elle était d’ailleurs programmée. Stay Tuned !, le nouvel album de l’auteure-compositrice-interprète paraissant le 22 février, fait écho à ce débat qui demeure d’actualité.

C’était son tout premier FIJM, rappelle la musicienne. « Tu capotes parce que c’est gros, le genre d’occasion auquel tu rêves toute ta vie. J’y pensais depuis longtemps, je pensais à la robe que j’allais porter… Tout ça a pris le bord » avec ce qu’on a baptisé « l’affaire SLĀV ». « La veille de mon premier concert, j’avais le cœur tellement lourd, j’étais presque triste de devoir monter sur scène. Je me suis réveillée le matin de mon concert en apprenant que SLĀV avait été annulé — je te jure, c’est comme si j’avais vu le soleil… », exprime-t-elle en chantant l’air de Aquarius / Let the Sunshine in.

 

Dominique Fils-Aimé n’avait pas vu venir l’émergence sur la place publique de ce vieux débat, ces réflexions à propos de l’appropriation culturelle, de la sous-représentation des communautés culturelles sur la scène artistique québécoise, sur le racisme aussi. Pourtant, toutes ces questions sont au cœur de son projet musical, dès les premières notes de Nameless, et toujours aussi pertinentes sur Stay Tuned !, un précieux album de soul-jazz minimaliste, parfois teinté de reggae et de R&B, qui, grâce au timbre solennel de la chanteuse, donne l’impression de suspendre le temps et l’espace dans lesquels on l’écoute.

« L’affaire SLĀV a nourri l’écriture du nouvel album, mais elle a surtout donné de la crédibilité à mon processus, estime-t-elle. Pour plusieurs, ces questions d’identité apparaissaient comme une nouveauté, mais moi, je me suis dit : “O.K., tout ce que je sentais, ce que je constatais est vraiment là.” C’est seulement qu’on n’avait jamais auparavant eu ce débat ; désormais, c’est un sujet de conversation. On a démystifié le sujet, même si ça a choqué certaines personnes. [À la sortie du premier album], je peux me souvenir de seulement deux entrevues accordées durant lesquelles on a abordé ces questions [de l’histoire des Noirs et de l’esclavage]. Et là, pouf !, le sujet existe. Ça m’a fait réaliser que j’étais en phase avec le discours. » Ou, plutôt, que c’est notre société qui s’est mise en phase avec le sien, et celui des Noirs étasuniens, qui depuis longtemps alimentent la conversation.

C’est comme s’il y avait une erreur quelque part dans la compréhension de ce qu’est le jazz ; on a entendu des sons à une époque, et c’est ce son qu’on a nommé jazz, mais en vérité, cette musique est une tentative de se sortir d’une idée préconçue. Le jazz, à mon sens, est un esprit plus qu’un son, un état de création libre qui ne doit pas répéter les mêmes sons et les mêmes accords qu’il y a 50 ans.

 

Ainsi, moins d’un an après avoir lancé le premier chapitre de son triptyque explorant l’histoire afro-américaine à travers ses expressions musicales, l’auteure, compositrice et interprète Dominique Fils-Aimé offre un Stay Tuned ! en forme de plongée dans les « révolutions » du siècle dernier, les révolutions du jazz et des droits civiques, en s’inspirant de l’œuvre de Nina Simone autant que des actions de Martin Luther King.

Car pour Fils-Aimé, « le jazz, c’est une révolution. Celle de gens qui se battent et découvrent la liberté », une impulsion qu’elle relie à la couleur rouge de la pochette, la couleur « du sang, de la femme, du feu, celui qui nettoie ». C’est l’esprit révolutionnaire du jazz qui donne son souffle à l’album, ajoute-t-elle en donnant son interprétation de cette musique : « C’est comme s’il y avait une erreur quelque part dans la compréhension de ce qu’est le jazz ; on a entendu des sons à une époque, et c’est ce son qu’on a nommé jazz, mais en vérité, cette musique est une tentative de se sortir d’une idée préconçue. Le jazz, à mon sens, est un esprit plus qu’un son, un état de création libre qui ne doit pas répéter les mêmes sons et les mêmes accords qu’il y a 50 ans. »

Car la révolution doit faire progresser la société, quelque chose dont a pris conscience la musicienne. « L’autre élément central du disque, c’est la femme, explique-t-elle. J’avais un batteur merveilleux dans mon orchestre, or je l’ai changé pour inclure une femme : Salin [Cheewapansri], d’origine thaïlandaise, arrivée à Montréal il y a peu de temps, une musicienne incroyable. J’avais envie que le battement de cœur de mon groupe soit celui d’une femme. Je trouve aussi qu’il n’y a pas assez de musiciennes dans mon entourage. Or, s’il y a un instrument en particulier qu’il semble difficile de trouver joué par des femmes, c’est la batterie. De plus, il faut que cela devienne plus commun dans notre milieu de voir des femmes. On n’y est pas encore, il faut donc faire des efforts conscients pour les intégrer — de la même manière que certains ont fait des efforts conscients pour me faire une place sur la scène dans le but d’ajouter de la diversité dans le paysage. »

Stay Tuned!

Dominique Fils-Aimé lancera Stay Tuned ! (publié chez Ensoul Records) le 1er mars, à L’Astral ; elle collabore également au projet électro-jazz du compositeur Ohm Hourani intitulé Jazz of the Machine qui sera lancé sur la scène du Centre Phi le 21 février, la veille de la sortie de Stay Tuned !