Lou-Adriane Cassidy commence par la fin

Lou-Adriane Cassidy se regarde et s’analyse avec aisance, avoue sans gêne qu’elle est très influencée par Louis-Jean Cormier et que c’est peut-être un peu trop manifeste. Un trop qui n’est pas de trop, justement.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Lou-Adriane Cassidy se regarde et s’analyse avec aisance, avoue sans gêne qu’elle est très influencée par Louis-Jean Cormier et que c’est peut-être un peu trop manifeste. Un trop qui n’est pas de trop, justement.

En mai de l’an dernier, après la finale des Francouvertes, j’écrivais que j’avais « hâte à l’album ». À Granby, déjà, c’était écrit sans que je l’écrive, Lou-Adriane Cassidy allait se rendre loin aux Francouvertes. Et rendue là, tout en elle annonçait le meilleur de la suite du monde : cette voix qui ne cachait rien, les « répits et explosions » dans les arrangements, les pickings à l’électrique, « belles modulations servant des mélodies abouties ». Beau commencement que cette deuxième place.

Commencement ? Comment ça, commencement ? Et La voix là-dedans ? Ah oui, La voix. Il se trouve que je ne savais pas qu’avant Granby, Lou-Adriane a été la protégée d’Éric Lapointe à La voix. « Tant mieux ! » lance-t-elle en rigolant de très bon cœur. « C’est vraiment drôle. Quasiment toute mon équipe de maintenant, c’est pareil, ils ne m’avaient pas vue avant. » Avant la fin, quoi. La fin du premier commencement. Fin d’un monde traversé pour ne plus y revenir. Vous aurez compris que j’en rajoute exprès, parce que le premier album de Lou-Adriane Cassidy s’intitule C’est la fin du monde à tous les jours.

À tous égards, on peut donc dire qu’elle commence par la fin. « Je suis vraiment contente d’avoir fait La voix, c’était vraiment riche d’enseignements, et ça a permis plein de rencontres vraiment importantes pour amorcer mon projet. Le plus beau, je trouve, c’est que ça ne m’a pas étampée pour l’éternité. Quand on me découvre avec l’album, on comprend que le show-business comme on le pratique à La voix, c’est pas un monde auquel j’appartiens. Je le savais, mais là c’est encore plus évident. »

Le compas à la bonne place

Clarté limpide. Dès la chanson-titre (écrite avec Stéphanie Boulay), cela s’entend dans l’espace qui est laissé : ce piano tout seul avec la basse au pic, ça définit une manière. En faire le moins possible pour laisser la place à cette voix nue, jamais réverbérée. La même basse au pic, avec la batterie, lance la pièce suivante, Poussière : les cordes se déploient seulement au refrain, au moment idoine. Parfait calibrage. Lou-Adriane, qui a coréalisé l’album avec Simon Pedneault (as guitariste et complice des Louis-Jean Cormier, Tire le coyote), a le compas qui ne bouge pas trop : elle sait ce qu’elle fait, où elle va, ce qu’elle veut. Les versions des chansons dévoilées aux Francouvertes (voir les clips sur YouTube) ressemblent assez à leurs variantes enregistrées. « J’ai toujours su que j’allais pas me noyer dans les artifices. C’est mon bagage de base, la chanson, inévitablement. »

En même temps, quand je travaille comme choriste avec Hubert Lenoir, je suis complètement autre chose, et pourtant c’est encore moi. Je pense que je me fais confiance, et cette confiance me rend libre. Là, il y a l’album. La suite, je l’ignore, et j’aime ça comme ça.

Oui, inévitablement. Entendez : Lou-Adriane est une Cassidy à prénom composé, comme sa mère. Oui, c’est elle, toute petite dans un chandail trop grand pour elle, à côté de Paule-Andrée Cassidy sur la pochette de l’album Méli-mélodies, florilège du répertoire de Boby Lapointe paru en 1999. Dans le livret, Lou est mentionnée parmi les musiciens. Sa contribution : « Muse et… balbutiements. » On ne peut pas avoir grandi au milieu des chansons d’une auteure-compositrice-interprète aussi rigoureusement hors modes sans en garder l’essentiel, à savoir que c’est l’essentiel qui compte. « J’ai pas été longtemps “la fille de”. Passer par La voix, c’était radicalement différent de son parcours à long terme, toujours vécu dans une certaine marge. J’ai vu de l’intérieur son monde, celui de mon père qui est musicien aussi, et le monde de La voix, et puis le monde des Francouvertes. »

Libre comme une choriste d’Hubert Lenoir

Elle a les 21 ans aguerris, Lou-Adriane Cassidy. Se regarde et s’analyse avec aisance, avoue sans gêne qu’elle est très influencée par Louis-Jean Cormier et que c’est peut-être un peu trop manifeste. Un trop qui n’est pas de trop, justement. « J’aime ça que ça module entre le presque rien et le très plein, oui ça vient de là, Louis-Jean a laissé des traces. Dans Respiration, ma première chanson, c’est quasiment trop, mais j’accepte ça très bien. » Lou-Adriane est la somme et la décantation d’influences nommées et assumées. « On ne sort pas de nulle part. Je me sens surtout chanceuse de pouvoir marier tous ces mondes dans ce que je fais. »

Ce qu’elle fait ? De la chanson lucide, sans illusions mais pas sans espoir (sauf dans la terrible Ce qu’il reste). Tire le coyote, Philémon Cimon, le pianiste Vincent Gagnon, Stéphanie Boulay ont fourni du matériel exceptionnel, mais sur mesure : quand on sait qui on est, les collaborateurs ont les bons paramètres. « En même temps, quand je travaille comme choriste avec Hubert Lenoir, je suis complètement autre chose, et pourtant c’est encore moi. Je pense que je me fais confiance, et cette confiance me rend libre. Là, il y a l’album. La suite, je l’ignore, et j’aime ça comme ça. » Des points d’arrivée en forme de points de départ. Lou-Adriane Cassidy bâtit un nouveau monde à tous les jours.

C’est la fin du monde à tous les jours

Lou-Adriane Cassidy, Grosse Boîte