En compagnie de l’OSM, deux Strauss valent mieux qu’un

Nikolaj Szeps-Znaider, nouveau directeur musical de l’Orchestre national de Lyon, nous a parlé brièvement en anglais en s’excusant ainsi : « Je ne parle pas encore français. Je vais apprendre. » Si Szeps-Znaider a pris le micro, c’est pour nous expliquer pourquoi l’ouverture de La chauve-souris de Johann Strauss avait remplacé la Danse des sept voiles de Richard Strauss en fin de programme. Cette raison est demeurée obscure en fin d’explication. Johann Strauss terminait le concert sur une note plus « champagne ». Deux Strauss valent finalement mieux qu’un.
Belle évolution
Il est agréable de voir que le changement de carrière du violoniste Nikolaj Znaider, qui vient de rallonger son nom pour l’occasion, s’opère de manière très positive. Il est musicalement plus inspiré et, techniquement à l’aise, se crée plus de marge de manoeuvre que ses collègues reconvertis Itzhak Perlman ou Maxim Vengerov.
Szeps-Znaider gère la Suite du Chevalier à la rose (la grande suite orchestrale, pas les « suites de valses ») très méticuleusement. Après un début qui manque de souffle et tient plutôt de la peinture minutieuse, le chef trouve vraiment l’élan, le ton et les textures des deux derniers tiers de l’oeuvre, avec des attaques de cordes subtiles. Dans le ton, Szeps-Znaider évite le côté liquoreux de la direction de Daniele Gatti avec l’Orchestre national de France, en visite à Montréal en 2011.
Ce goût sûr, notamment dans les transitions et le choix des tempos, se retrouve dans l’ouverture de La chauve-souris, très finement travaillée et esthétiquement juste.
Une inutile reprise
Après une ouverture de Berlioz très sonore, sans folie mais bien campée, Alain Lefèvre était le pôle d’attraction de la première partie, et du concert, pour bien des spectateurs présents. On aimerait dire de belles choses sur le pianiste, qui a choisi de jouer en rappel Les feuilles mortes,« pour une jeune femme trop tôt disparue », un geste humain sensible envers un membre de l’orchestre qui a perdu sa fille récemment. Mais nous ne sommes là ni pour saluer les décisions de box-office d’une institution ni pour enjoliver les choses.
Alain Lefèvre avait déjà joué le 1er Concerto de Tchaïkovski à Lanaudière en juillet 2016 et le résultat était médiocre. Nous avions alors écrit : « L’approche était plutôt retenue et prudente sans que l’on puisse deviner si le chef protégeait le pianiste ou si le soliste n’arrivait pas à bouger un orchestre passablement inerte » et pensions que Lefèvre n’avait pas ce concerto « naturellement dans les doigts ». Mais il faisait froid (13 degrés en juillet !) et l’orchestre constitué pour l’occasion était mené par un chef moyen.
Allant au second de deux concerts à la Maison symphonique de Montréal avec l’OSM et un chef cadrant parfaitement les choses et voyant que les questionnements et problèmes sont les mêmes, qui plus est aux mêmes endroits, les doutes sont levés.
Le fuyant passage Prestissimo leggierissimo du 2e mouvement reste celui qui met Alain Lefèvre à plus rude épreuve. Tout comme dans les leggiero du 1er volet, c’est cette texture transparente qu’il ne parvient pas à traduire. Or elle est capitale ici, puisqu’elle permet temporairement à l’orchestre de passer devant le piano, qui ne fait que tisser des guirlandes autour de la phrase principale.
Il manque hélas tout un éventail de nuances (relevées ou uniformisées) et de toucher. En plus de 37 minutes (l’orchestre en avait hardiment annoncé 32, se fondant possiblement sur des concerts antérieurs de Martha Argerich !), la prudence et la massivité permanente tiennent-elles encore de l’interprétation, alors que l’oeuvre repose sur les strates de textures infiniment variées et des phrases dont la respiration est donnée par des soufflets dynamiques imperceptibles ?
Cette reprise n’a hélas rien apporté à l’aura du pianiste, même si elle a fait du bien aux caisses de l’OSM.