Kent Nagano et Fred Pellerin: mariage de raison?

Le conteur Fred Pellerin a apporté un vrai concept, une proposition majeure au coeur des concerts des Fêtes et ses rendez-vous.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le conteur Fred Pellerin a apporté un vrai concept, une proposition majeure au coeur des concerts des Fêtes et ses rendez-vous.

Après La tuque en mousse de nombril en 2011, il y eut Le bossu symphonique en 2013 et Il est né le divin enfin ! en 2015. Fred Pellerin a présenté Les jours de la semelle, titre de ce spectacle de 2018, dont son personnage Toussaint Brodeur est le héros, comme « le quatrième volet d’une trilogie ».

Pellerin se penche à cette occasion sur le mercantilisme qui peut obstruer le regard et nous narre l’histoire des 473 enfants Gélinas de son fameux village. Sa belle maxime de fin est : « Ça prend des villages pour faire grandir les enfants et ça prend des enfants pour faire grandir les villages. »

L’association de l’OSM avec cet artiste hors du commun est l’une des grandes idées de l’ère Nagano. Fred Pellerin a apporté un vrai concept, une proposition majeure au coeur des concerts des Fêtes et ses rendez-vous, mis en scène par René Richard Cyr, font d’excellents programmes télévisés, qui assurent à l’orchestre, et donc à la musique, une place qui n’existe plus guère, hélas, par ailleurs.

La contribution du conteur s’est montrée à la hauteur de la symphonie des mots que nous espérions. La mise en forme visuelle, les éclairages et éléments de décor ont été excellents, la formule de la boule centrale animée ayant été reconduite. Les caméras de Radio-Canada ont semblé moins gênantes que d’habitude, tournoyant dans un espace plus réduit.

Des hôtes à la hauteur ?

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le chef de l'Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano, lors de la répétition du concert «Les jours de semelle».

Au niveau musical, la nouveauté de l’édition 2018 est la contribution des Petits chanteurs du Mont-Royal. Ceux-ci sont toutefois assez moyennement utilisés. Ils ouvrent le concert, en ajoutant des couleurs dans Daphnis et Chloé, puis patientent pendant plus de la moitié du temps avant de se brûler les ailes dans une Symphonie de Psaumes de Stravinski trop difficile pour eux. Ils sont ensuite ignorés par l’arrangement de Petit papa Noël avant de conclure le concert sur le Gloria de Vivaldi et, heureusement, mis à contribution lors du rappel : un superbe arrangement de Blair Thomson du Grand cerf-volant de Gilles Vigneault, « onirisé » par Fred Pellerin.

Le geste d’offrir au conteur de chanter cette chanson symphonisée en guise de bis est fort heureusement le grand et seul geste de mansuétude apparente de la part de l’OSM envers Fred Pellerin.

Je n’ai pu m’empêcher de ressentir un certain malaise dans le déroulement de la soirée, en voyant Kent Nagano faire se lever son orchestre à tout bout de champ pour recueillir des applaudissements. Ce n’est pas un détail. Un tiers d’un mouvement de la Symphonie pathétique de Tchaïkovski au milieu d’un conte pour illustrer une ambiance, quelques « clap-clap », et hop, tout l’orchestre se lève et salue !

Le public n’y est pour rien. Il est poli. Mais c’est comme un rituel. À ce « conte »-là, Fred Pellerin est-il un partenaire ou un faire-valoir de l’orchestre ? En quoi l’orchestre est-il plus méritoire que lui ? L’hiatus m’aurait sans doute moindrement choqué à la première ou seconde année quand le concept se rode et quand chacun prend ses marques.

Mais à la quatrième édition, n’est-il pas évident et entériné que l’objet est un conte de Fred Pellerin illustré musicalement par l’OSM ? Et que, donc, on laisse Fred Pellerin raconter son histoire de A à Z, le conteur et les musiciens recueillant les applaudissements et vivats, de concert, à la fin ?

Dans ce cadre-là aussi, je n’en reviens pas qu’à la quatrième édition il n’y ait pas un travail plus poussé sur l’imbrication récit-musique. Celui-ci existe, par exemple avec Copland ou Gounod, qui tombent bien dans le texte, ou pour le hardi et original Schnittke, très bien incarné par Andrew Wan et Marie-Andrée Chevrette, qui illustre une tension du couple Brodeur. Mais les dix minutes de Symphonie inachevée ont cassé le rythme du conte et tué l’ambiance comme cela ne se pouvait même pas, au point où on finit par se demander à quoi rime vraiment cette alliance Pellerin-Nagano.

Il y a fort à parier que l’émission sera formidable. Fred Pellerin l’a été. Il mérite nettement plus de considération que celle qui lui a été accordée en apparence, car il porte la soirée sur ses épaules. Le voir ainsi réduit au rang de faire-valoir d’hôtes qui se lèvent et s’assoient en saluant à tour de bras à la moindre petite intervention en lui cassant le rythme de son conte pendant toute la soirée doit lui demander une bonne dose de bienveillance. Il se consolera en pensant que Jours de la semelle rime avec péteux de bretelles !


Webdiffusion audio-vidéo jeudi à 20 h sur ICIMusique.ca. À la radio : le 24 décembre à 22 h sur ICI Première, ainsi que le 25 à 12 h et le 16 à 20 h sur ICI Musique. À la télévision : le 23 décembre à 20 h sur ICI Télé, le 25 décembre à 21 h 30 et autres diffusions sur ICI ARTV.

Les jours de la semelle

Conte de Fred Pellerin illustré par des musiques de Ravel Copland, Tchaïkovski, Schubert, Gounod, Schnittke, Stravinski, Mahler, Rossi, Vivaldi. Petits chanteurs du Mont-Royal, Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano. Mise en scène : René Richard Cyr. Maison symphonique de Montréal, mercredi 12 décembre. Reprises jeudi, vendredi et samedi

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