Le marathon et le triomphe de Yo-Yo Ma

L’exercice est ardu pour tous : une plongée de plus de deux heures en continu (oui, sans entracte !) dans les Suites pour violoncelle de Bach. C’est évidemment Yo-Yo Ma qui est exposé à tous les défis, mais c’est pourtant lui qui encourage la foule à l’issue des Suites nos 1, 2, 3 et 4. Le public lui retourne cette vague de sympathie et d’enthousiasme. Il tient bon, le public, et écoute avec une notable attention.
La soirée à la Maison symphonique de Montréal a débuté avec du retard parce que Yo-Yo Ma avait réservé au public massé dans l’église Saint-James, qui avait payé 20 $ pour suivre sa prestation à distance sur écrans géants, une belle surprise. Le gentleman est allé saluer ces spectateurs peu après 18 h et leur a joué un petit quelque chose.
Bach sans y toucher
Yo-Yo Ma a enregistré les Suites pour violoncelle de Bach à trois reprises : en 1982, en 1997 et en 2018. Il y a une nette évolution stylistique entre ces enregistrements. Le musicien dans la vingtaine qui enregistre les Suites en 1982 est un violoncelliste qui joue du « beau violoncelle », mais pas forcément du grand Bach. Celui de l’intégrale de 1997 a suivi une formation en rhétorique baroque. Il s’intéresse à la pulsation des danses et les phrasés sont plus étudiés : c’est une admirable réalisation. Vingt ans après, cela danse toujours, mais avec des respirations plus courtes et moins de son : c’est le trait qui s’est allégé.
Le concert de vendredi a confirmé cette nouvelle approche, ce détachement de la matière et cette quête beaucoup plus poussée du diaphane, que ce soit dans le Prélude de la III ou la Courante immatérielle de la VI. L’impact de la sensualité sonore est très étudié, par exemple dans le début susurré de l’Allemande de la IV. De ce point de vue, le cheminement diffère nettement de celui de Jean-Guihen Queyras, qui a conduit ce dernier vers un ascétisme associé à une sorte d’austérité sonore, devenue presque ligneuse.
La Gigue finale de la 3e Suite est très symptomatique du rapport du violoncelliste avec la matière. On y remarque chez Yo-Yo Ma le même allègement du son et des appuis. Les Suites III et V sont les grands moments de ce nouveau parcours avec Bach. La III pour cette Sarabande qui sonne comme un cri dans un monde de solitudes et la V pour énormément de choses : la transition Prélude-Allemande, la Sarabande et surtout un univers sonore enrichi. C’est ici que Bach déploie le plus de moyens.
Yo-Yo Ma négocie bien le passage délicat de la 5e à la 6e Suite, puisqu’il s’agit d’aller du plus large et creusé (V) au plus aigu et pointu (VI). Son dernier coup d’éclat sera la caractérisation sonore des deux Gavottes.
La soirée a tenu en haleine un public extrêmement nombreux, puisque toutes les places debout du balcon étaient occupées et que des sièges avaient été rajoutés sur la scène.
En rappel, Yo-Yo Ma a rendu hommage au découvreur des Suites, le Catalan Pau Casals, en jouant son fameux El cant dels ocells, symbole du sentiment catalan de l’artiste s’opposant au franquisme. Il a ensuite convié sur scène Jérémy Dutcher, Prix Polaris 2018 du meilleur album canadien pour son opus Wolastoqiyik Lintuwakonawa.
Yo-Yo Ma passera la journée à Montréal samedi. Outre sa prestation à la station de métro Place-des-Arts à 14 h, la rencontre à 16 h, sur les questions de la place des Autochtones dans les nouvelles technologies, aura finalement lieu au White Wall Studio du 4532, avenue Laval.