Mönkemeyer-Youn: un duo captivant

Parmi les affiches du Festival Bach 2018, celle qui nous amène le nouvel altiste vedette de la scène européenne Niels Mönkemeyer aura été la plus difficile à vendre à un large public. L’alto reste une discipline de niche, comme le clavecin, par exemple. C’est bien dommage, car, fondamentalement, le programme était articulé autour de Bach et des deux sonates de Brahms, chefs-d’oeuvre du répertoire et monuments de la musique de chambre brahmsienne (cet Opus 120 existe alternativement sous forme alto ou clarinette).
Parler de cette soirée, c’est forcément poser des questions d’équilibre. Ce faisant, il faut y aller avec des pincettes, car il serait trop facile de dire que William Youn vole la vedette, voire d’en conclure qu’on est venu écouter un altiste et qu’on est reparti en ayant découvert un pianiste.
Un chant rayonnant
Sur le fond, rien n’est plus faux. Si l’on s’intéresse à ce qui se passe en musique, on a forcément remarqué l’intégrale des Sonates de Mozart de William Youn (CD Oehms). Les merveilles que nous avons entendues dès qu’il a posé les mains sur le piano dans « Nun komm, der Heiden Heiland », la plénitude et le chant rayonnant dans les transcriptions de Wilhelm Kempff n’en sont que des confirmations.
Suivre Youn, félin, dans un Brahms riche en nuances et en couleurs est tout aussi fascinant. Le débat point lorsqu’on soulève que le pianiste y va d’un discours disons assez « charpenté » et oblige donc son partenaire à « donner du son » et à sortir de sa réserve. J’ai trouvé que cette alchimie-là fonctionnait à plein dans l’Opus 120 n° 2, plus encore que dans la 1re Sonate, malgré des moments magiques, comme ce dépouillement sonore total à la fin du mouvement lent.
Il est évident que dans ce duo captivant, Mönkemeyer est la vedette, mais Youn est le moteur musical qui dicte une intensité quasi « symphonique ». Personnellement, cela me convient, mais on peut rêver d’un climat chambriste plus feutré. Car la question sous-jacente est, évidemment : Mönkemeyer est-il porté ou relativement « enterré » par Youn ?
Dans la réponse à cette question tient toute la clé de l’énigme. Elle ne peut être que supputation subjective. En fonction de mon expérience d’auditeur, Youn n’aurait pas « enterré » Yuri Bashmet, Gérard Caussé, il y a 20 ans ; Maxim Rysanov ou Antoine Tamestit aujourd’hui. Il n’enterre pas Mönkemeyer, mais on sent qu’il le pousse à se livrer pleinement. Mais n’est-il pas, de ce point de vue, le meilleur partenaire imaginable ?
Car si j’en reviens à l’impression initiale, perçue lors de la transcription de la 1re Suitepour violoncelle : Mönkemeyer est un excellent artiste avec un son magnifique. Mais il est faillible et ce n’est pas un « titan de l’alto » comme les quatre noms ci-dessus et quelques autres (Nobuko Imai et Kim Kashkashian, jadis ; Tabea Zimmermann ou Lawrence Power, aujourd’hui). Sa personnalité raffinée semblait fort à l’aise dans la pièce contemporaine simpliste de Konstantia Gourzi.
Pour une édition future du Festival Bach, j’espère entendre un récital William Youn. Sa conduite des voix dans « Wachet auf », sa pâte sonore et son sens des équilibres laissent augurer d’une soirée mémorable.