Des Beatles encore plus éblouissants

Les Beatles en 1968, année de l’album blanc: on a beau l’avoir réécouté, chaque chanson remixée révèle des secrets.
Photo: Associated Press Les Beatles en 1968, année de l’album blanc: on a beau l’avoir réécouté, chaque chanson remixée révèle des secrets.

Cinq étoiles. Sur cinq, c’est le maximum. Ça en vaut dix, cent sur l’échelle de Richter de l’histoire du rock : ce coffret « super deluxe », qui célèbre les 50 ans de la sortie du disque double intitulé The Beatles (rebaptisé l’album blanc pour l’éternité), n’offre rien de moins que la version exponentielle d’un chef-d’oeuvre. L’éclatement du plus éclaté des univers proposés par le groupe : un big bang en trente titres remixés formidablement par Giles Martin-le-digne-fiston-de-sir-George, avec 50 prises alternatives et jams en studio, plus les 27 démos acoustiques des chansons écrites et composées en totalité ou en partie lors du séjour de méditation en Inde.

Six disques, et un septième en Blu-Ray pour les mixages en tous formats. Avec un livre détaillé à l’extrême, assorti d’une préface signée Paul McCartney. « We, The Beatles… » commence-t-il. Oui, nous. C’est le plus important constat que permet cette plongée en apnée dans les six mois que durèrent les sessions d’enregistrement, de mai à octobre 1968 : contrairement à ce que l’on a beaucoup écrit, l’éclatement musical ne correspond pas à l’éclatement du groupe. Pas encore.

Réécrire l’histoire

Oui, à l’écoute, on doit réévaluer l’idée selon laquelle l’album blanc rassembla des chansons solos disparates où les autres Beatles servaient d’accompagnateurs à l’auteur-compositeur : ça ne tient pas la route quand on entend Paul, George, John et Ringo bâtir les arrangements. Mieux : on les entend s’amuser. Bien sûr qu’il y avait Yoko Ono, toujours là, collée aux basques de Lennon (et réciproquement), bien sûr que les très longues séances usaient les nerfs, causant ce qu’on appellerait aujourd’hui des épuisements professionnels, aux dépens de George Martin (qui dût prendre des « vacances de repos ») et de l’ingénieur Geoff Emerick (lequel se fit porter pâle jusqu’à Abbey Road, l’année d’après).

N’empêche, c’est patent : le groupe était un groupe quand venait le temps de définir le son unique de chaque création. Si plusieurs studios du complexe d’EMI étaient utilisés simultanément pour des ajouts, le fait demeure que les pistes de base, pour la plupart, étaient le plus souvent jouées à quatre, bien plus souvent que durant la période psychédélique 1966-1967.

La magique chimie

 

L’énergie avec laquelle les Beatles attaquent les prises de travail des Birthday, Everybody’s Got Something to Hide Except Me and my Monkey, Yer Blues, I’m So Tired et Helter Skelter ne laissent aucun doute : cohésion, concentration, collaboration, c’est presque toujours tous pour un et un pour tous chez nos mousquetaires. À part Revolution 9, disons, et encore : le déconcertant collage de John et Yoko, on en a la preuve en dix extraordinaires minutes, est né de la prise 1 de Revolution. Entendre les Sexy Sadie, I Will, Cry Baby Cry, Long, Long, Long, Glass Onion prendre forme nous fait vivre au présent la magique chimie des quatre brasseurs de potion. On est là, avec eux, plus que jamais auparavant.

C’est fou tout ce qu’on découvre, même quand on est fan fini. Qui savait que les Beatles se sont réchauffés pour Helter Skelter en jouant (frénétiquement) du Elvis ? Ou qu’il existait une version absolument exquise de Goodnight sans les cordes, avec un picking à la Julia et John, Paul et George qui harmonisent divinement autour de Ringo ? Ou qu’à la prise 27 de While my Guitar Gently Weeps, le solo de guitare d’Eric Clapton est encore meilleur ? Ou que Let It Be existait déjà, fut-ce à l’état embryonnaire ? Même le fan fini l’ignorait.

Les Beatles débranchés

 

Celles et ceux qui n’ont jamais entendu les démos acoustiques enregistrés en amont chez George Harrison les chériront comme si les Beatles leur avaient caché un album unplugged (incluant les Circles, Sour Milk Sea et autres titres jamais officiellement gravés par les Beatles), et les familiers du bootleg Unsurpassed Demos disponible depuis 1991 vivront les délices révélés par des bandes d’origine en parfait état de restauration.

Révélation, c’est le mot-clé. On a beau avoir écouté et réécouté l’album blanc à l’endroit et à l’envers depuis 50 ans, chaque chanson remixée révèle des secrets : l’espace élargi, aéré par Giles Martin permet d’entendre des instruments qu’on ne soupçonnait pas, et de la même façon que dans le coffret anniversaire de Sgt. Pepper’s, la basse et la batterie confèrent volume et chaleur à des enregistrements pourtant jusque-là parfaitement satisfaisants. On le répète, on le répétera : ce coffret plus qu’onéreux, c’est un chef-d’oeuvre en mieux.

The Beatles (White Album) SuperDeluxe Edition, 6 CD + 1 Blu-Ray + livre

★★★★★

The Beatles, Apple / Universal

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