Bach, son festival et son monument

Le Festival Bach de Montréal s’ouvre officiellement le jeudi 22 novembre avec la Passion selon saint Jean dirigée par Julian Prégardien. Au même moment, Universal fait paraître un coffret monumental réunissant l’ensemble de son œuvre. La fête au plus haut niveau.
La tête d’affiche du Festival Bach est facile à identifier : Yo Yo Ma, qui, en clôture, le 7 décembre, donnera à la Maison symphonique de Montréal le seul concert canadien de sa tournée mondiale des Suites pour violoncelle seul.
La soirée a été tellement prise d’assaut que la Maison symphonique se dédoublera par une diffusion en simultané sur écran géant à l’église St James United. C’est une première à Montréal de voir ainsi un événement augmenter sa capacité d’accueil par une diffusion payante externalisée, sur le modèle du Metropolitan Opera dans les cinémas.
Les visites internationales
La venue de la superstar du violoncelle ne doit pas détourner notre attention de nombreuses autres visites passionnantes, à commencer par celle de Julian Prégardien, jeudi, dans un exercice très rare, puisque ce ténor, conteur hors pair, sera à la fois l’évangéliste et le chef d’orchestre d’une Passion selon saint Jean préparée en séminaire avec un ensemble trié sur le volet.
À ne pas manquer : le retour, le 5 décembre, du pianiste Sergei Babayan, que nous avions qualifié de « génie » lors de sa dernière présence ici, et du nouveau contre-ténor vedette de la scène baroque européenne, Jakub Józef Orliński, en concert le 29 novembre. Orliński sera accompagné par L’harmonie des saisons, dirigé par Éric Milnes. La veille, c’est le pianiste Jeremy Denk qui interprétera les Variations Goldberg, une tradition au festival. Pour connaisseurs et gens de goût, l’un des meilleurs altistes du métier, Nils Mönkemeyer, sera accompagné le 3 décembre par un pianiste qui a surpris la critique dans une intégrale des sonates de Mozart pour l’étiquette Oehms : William Youn.
Le Festival Bach mise aussi sur toutes les forces vives d’ici. Kent Nagano et l’OSM présenteront la fabuleuse Messe en si les 4 et 5 décembre ; Luc Beauséjour présentera les clavecins de sa collection privée le 24 novembre ; Julie Boulianne s’associera à l’Orchestre de chambre McGill et Valérie Millot à Caprice, la veille d’une autre grande visite, celle de Masaaki Suzuki avec son Bach Collegium Japan, le 1er décembre.
Un coffret de poids
Masaaki Suzuki fait le lien entre le Festival montréalais et « le » coffret-événement de 2018 : Bach 333. L’intitulé s’explique parce que Deutsche Grammophon s’est mis à faire du marketing sur le chiffre 111 depuis quelques années et que Bach est né il y a 333 ans.

Masaaki Suzuki dans un coffret Deutsche Grammophon-Universal ? Oui, parce que cette brique qui dépasse en volume (222 CD et 1 DVD) et en poids (13,5 kg) tout ce qui a été publié jusqu’ici n’hésite pas à se nourrir de licences. C’est là une idée importante, car trois intégrales publiées jusqu’ici ont été construites autour du bloc des cantates qui leur donnait leur identité : gravures pionnières mais parfois rustiques des défricheurs Leonhardt et Harnoncourt chez Warner, rondeur de Rilling chez Haenssler, minimalisme d’un quatuor vocal chez Brilliant Classics.
Le coffret Universal a été composé par Paul Moseley, directeur artistique, et Nicholas Kenyon, auteur d’un livre sur Bach et directeur du Barbican Center de Londres. Le Devoir a interrogé Paul Moseley sur les cantates, justement. « Quand nous avons démarré la conception de l’intégrale, notre première constatation était que, contrairement à Mozart, le groupe Universal n’avait pas toute l’œuvre de Bach. Il nous fallait donc signer des licences. À partir de ce constat, notre objectif était de composer le coffret avec trois quarts de documents Universal et un quart de licences, avec pour but d’avoir la palette la plus large possible. »
Le choix de la musique sacrée répond à ces critères. « Nous avons eu le soutien de John Eliot Gardiner, sans qui le projet n’aurait pas vu le jour. Mais nous avons décidé de varier les plaisirs. Les deux chefs les plus mis à contribution pour les cantates sont Gardiner et Suzuki, auteurs des deux intégrales modernes majeures. Gardiner est très intense, Suzuki très policé. Alterner l’excitation de Gardiner et le calme de Suzuki sans rester prisonniers d’une esthétique est très bénéfique. À partir de ces deux piliers, nous intégrons ici et là d’autres acteurs de cette tradition : Herreweghe, Coin, Rifkin, Koopman. »
Les concepteurs du coffret ne se sont pas arrêtés là, ajoutant aussi des versions alternatives issues de la tradition « pré-baroque », notamment l’héritage de Karl Richter.
Les amateurs peuvent donc, dans toutes les disciplines, accéder au regard musicologique actuel (pour les Sonates et Partitas pour violon, DG a demandé à Giuliano Carmignola d’enregistrer une nouvelle version) et retrouver des interprétations marquantes de l’histoire du disque (Milstein, Grumiaux pour les Sonates et Partitas, mais aussi, sporadiquement, Kremer, Jansen, Mullova…). C’est donc à la fois une intégrale des œuvres et une anthologie de l’histoire de l’interprétation du compositeur, ce qui explique que le compteur monte à 222 CD, contre 150 environ pour les coffrets antérieurs. Dans les œuvres célèbres, Moseley et Kenyon ne lésinent pas sur les versions comparatives et vont jusqu’à explorer les transcriptions et même les adaptations jazz de Bach.
Le Bach-Archiv de Leipzig
Comme l’intégrale Mozart, le coffret Bach 333 contient une solide documentation : le catalogue des œuvres et deux livres (400 pages en tout), mais en édition anglaise. « Il était économiquement trop risqué de faire une version française et japonaise », commente Paul Moseley. Le directeur artistique a pu se reposer sur l’équipe du Bach-Archiv de Leipzig, dont le portail Internet fournit par ailleurs ailleurs aux mélomanes des outils documentaires précieux.
C’est Christianne Hausmann du Bach-Archiv qui a piloté la section de la musique d’orgue en cherchant à croiser les regards d’interprètes et à documenter des instruments de l’époque de Bach. « À nouveau, c’est la variété que nous avons recherchée », dit Paul Moseley. Dans cette section aussi, de nouveaux enregistrements ont été réalisés à ces fins, confiés à l’organiste Christian Schmitt.
Un cas très émouvant concerne le choix, admirable, des Suites pour violoncelle, où l’on découvre le nom de David Watkin, dans un enregistrement de 2013 licencié à l’inconnu label Resonus ! Paul Moseley est heureux que nous voir repérer cette perle : « David Watkin était le violoncelle principal des English Baroque Soloists et a enregistré les Suites après avoir fait le parcours complet des cantates avec John Eliot Gardiner. Sur une note plus triste, c’est aussi son chant du cygne, car il a eu un problème d’épaule après cet enregistrement et a arrêté de jouer. »
Avec 280 heures de musique mobilisant 750 interprètes et ensembles, cette montagne Bach n’a pas fini de nourrir les mélomanes. DG a même consacré au coffret un site régulièrement enrichi. C’est énorme, évidemment. Comme la stature du compositeur.
Les cinq chemins de traverse du Festival Bach
22 novembre. Ouverture avec Julian Prégardien, évangéliste et chef de la Passion selon saint Jean. 19 h 30, église St. Andrew and St. Paul.29 novembre. À la découverte du timbre de Jakub Józef Orliński dans Bach, Händel et Vivaldi. 19 h 30, église St. Andrew and St. Paul.
1er décembre. Masaaki Suzuki nous présente son Bach Collegium Japan. 19 h 30, salle Bourgie.
3 décembre. L’altiste Nils Mönkemeyer et le pianiste William Youn, tous deux pour la première fois au Québec, dans des arrangements de chorals de Bach et les sonates de Brahms. 19 h 30, salle Bourgie.
5 décembre. Sergeï Babayan joue Chopin et Bach. 19 h 30, salle Bourgie.