Les Hôtesses d’Hilaire, grand marchand de distraction

Il faut plus de « spectacles spectaculaires », racontait récemment dans Le Devoir Steve Marcoux, programmateur chez [co]motion, à Laval. Pour faire sortir les gens de leur sofa à l’époque de l’aimant Netflix, il faut des propositions fortes. Jeudi soir en ouverture du Coup de coeur francophone, le groupe acadien Les Hôtesses d’Hilaire a livré exactement le genre de concert hors du commun qui ne peut vivre autrement que dans une salle, que sur une scène, que dans la folie de cette rencontre d’artistes audacieux et d’un public ouvert.
Les Hôtesses d’Hilaire, formé à Moncton, offrait pour la première fois au Club Soda l’adaptation scénique par le Théâtre du Futur de l’opéra rock Viens avec moi, paru cet été. Et quel objet étonnant et divertissant que ce spectacle à la fois très « do it yourself » mais cohérent et surtout amusant. La troupe et son vaste équipage recruté pour l’occasion sont de bons « marchands de distraction », pour reprendre les mots d’une de leurs chansons.
Le spectacle reprend l’essentiel de l’histoire et des chansons psychédéliques de l’album concept, qui raconte les deux parcours différents, mais pas tant que ça, d’un alter ego de Serge Brideau, des Hôtesses d’Hilaire et d’un dénommé Kevin, qui participe à concours musical, Pousse ta note. Un « prend le chemin de terre », l’autre « le chemin de fer », d’illustrer la narratrice du concert, Diane Losier, dans le rôle de Glenn.
Et quelle épopée que cette soirée bricolée, mais de haut niveau. La scène pourtant pas si petite du Club Soda est pleine à ras bord de musiciens — les cinq membres des Hôtesses, deux autres multi-instrumentistes — et de comédiens — Anna Frances Meyer joue Julia la méchante imprésario, Les Hay Babies font ses assistantes, Robin-Joël Cool prenant la peau de Kevin.
La mise en scène offre quelques moments inventifs, comme cette porte centrale, par où toutes les allées et venues se font, et qui sert aussi d’écran de projection, voire d’espace pour faire des ombres chinoises — avec la silhouette disons importante de Serge Brideau. On voit apparaître Lucien Francoeur ici et là, comme le soleil des Télétubbies. On voit poindre un nez qui souffle de la poudre sur Ptite clé bé, qui parle de drogue. Pendant Post ta shit, Julia donne à Kevin un selfie stick pour qu’il se montre davantage sur les réseaux sociaux. Des effets « Dollarama » qui marchent bien.
Sur scène, contrairement au disque, ce n’est pas Brideau qui joue son rôle et celui de Kevin, ce qui rend la compréhension du récit plus simple et donne plus de force à ce drôle de jeu de destins croisés. Parce que oui, on rit pas mal, mais le fond de Viens avec moi reste grinçant, et pourrait même éclairer les débats du moment entre les artistes alternatifs et les bonzes de la pop.
Et la trame de fond de toute cette histoire, c’est l’Acadie. Viens avec moi commence à Edmundston, et Kevin y retournera plus tard dans le spectacle. On entend une version pour le moins décalée de Moi je mange d’Angèle Arsenault. On insiste sur le fait de pousser « sa » note, son identité. Et dans la salle, les Acadiens de Montréal se faisaient entendre en masse, un peu comme quand les Français débarquent en masse pour un spectacle de Fauve aux Francos.
Quand le rideau tombe après cette aventure rocambolesque, on se pince un peu d’avoir vécu cette soirée psychotronique et musicalement impeccable. Un étonnant mariage de forme et de fond, sur la fine ligne entre l’art et le divertissement.
L’opéra rock sera présenté le 3 novembre à Moncton, le 14 à Edmundston, le 15 à Québec et le 17 à Caraquet.