L’expérience a du bon

Pour ce nouvel album, le Benoît Paradis Trio a préféré séparer les prises de voix de celles des instruments.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Pour ce nouvel album, le Benoît Paradis Trio a préféré séparer les prises de voix de celles des instruments.

Mine de rien, même s’il navigue toujours un peu en marge, sur les chemins de traverse, le Benoît Paradis Trio sévit sur disque et sur scène depuis douze ans maintenant avec sa chanson jazz décalée. Et si le temps, parfois, ne fait rien à l’affaire, l’expérience, elle, laisse sa trace.

« Comme vous dites, mon cher ami ! » rit Benoît Paradis d’un rire un peu fou. Avec le chanteur-trompettiste et son groupe, il y a des choses qui ne semblent pas changer, comme cet esprit décalé et théâtral, qui s’imbrique si bien avec un certain classicisme jazz.

Ce qui bouge avec ce quatrième disque intitulé ironiquement Quintessence du cool, et lancé dans le cadre de Coup de coeur francophone, c’est le résultat sonore beaucoup plus riche, abouti et aussi mieux livré par le groupe formé de Paradis, de la pianiste Chantal Morin et du contrebassiste Benoît Coulombe. Non, il n’y a pas de métamorphose de leur approche « Vian–Brassens–Chet Baker », disons, mais les trois comparses ont changé leur procédé d’enregistrement et de création.

Inverser le travail

 

« Cette fois-ci, on est partis de la musique pour faire le nouveau matériel et non pas des textes, raconte Benoît Paradis au téléphone. J’ai composé seul de mon bord, sans mots là-dessus. On a même enregistré la moitié des titres sans avoir de paroles claires dessus, ou sans mélodies de voix. Pour moi, c’était un beau terrain de jeu, une nouvelle façon de faire, qui m’a intéressé, qui m’a un peu angoissé aussi, parce que j’avais jamais fait ça ! »

Mais le jeu en valait la chandelle, au bout du compte. On sent plus de travail dans la composition de ces treize nouveaux titres, dont plusieurs respirent beaucoup plus que par le passé.

 

Benoît Paradis, qui a collaboré au fil des ans avec des artistes comme Bernard Adamus, Patrice Michaud, Dany Placard et Canailles, explique aussi que son trio a adopté une nouvelle approche en studio, préférant séparer les prises de voix de celles des instruments au lieu de tout enregistrer en même temps. « C’est très difficile d’arriver à un son qui est intéressant, qualité jazz, dans cette formule-là. Alors que cette fois-ci, j’ai eu plus de liberté pour faire de meilleures prises de voix. »

Les épreuves, ce qui est dur, ça nous constitue et je pense que c’est ça qui nous rend plus cool

 

Le bonheur dans ce qui remue

Le chanteur, qui vient de s’acheter une maison en Gaspésie à l’intérieur de laquelle il veut créer un petit lieu de diffusion, ajoute que la création du disque s’est faite plus dans la joie et moins dans le stress, l’expérience aidant.

En ce sens, la pièce Compte pas les heures se révèle comme une lettre d’amour à ce métier difficile, où la stabilité et le confort sont rarement au rendez-vous. « On compte pas les heures/On s’fait la faveur/On fait ça pour le coeur/On compte pas les heures/On compte pas les jours/On fait ça par amour », y chante-t-il.

Il y a là sa quête du vrai, de ce qui vit, palpite, gratte, écorche un peu, mais qui est réel et complexe. Comme la tournée, que le groupe fait beaucoup en Europe (voir encadré). Ou comme la quêteuse du coin de la rue, la personne malade, celle qui a pris le clos en voiture ou celle qui multiplie les aventures et les micro peines d’amour.

« Je m’en amuse en même temps que ça m’attriste, mais je constate plein d’affaires dans ma société qui ne me plaisent pas et dont je voudrais parler », raconte Paradis.

Pour lui, le titre Quintessence du cool est une sorte de boutade, de clin d’oeil au deuxième degré. « Les épreuves, ce qui est dur, ça nous constitue et je pense que c’est ça qui nous rend plus cool. Alors que pourtant on valorise souvent une absence de surprise, un bien-être. C’est un peu hypocrite, pour moi. J’adore parler avec du monde qui est en dehors de ça, qui a dit non à cette façon de regarder la vie ou de vouloir la vivre. »

Ça aussi, c’est peut-être l’expérience.

Destination : Europe

Depuis plusieurs années, le Benoît Paradis Trio multiplie les passages en France, en Belgique et en Suisse. Le groupe oscille entre les réseaux plus officiels de salles de calibre national et ceux plus alternatifs, mis en place par des associations culturelles locales. « Dans les dernières années, je dirais qu’on a fait 25 % ou 30 % de nos spectacles au Québec et au Canada, et le reste en Europe. C’est quand même beaucoup. [Pour le disque T’as-tu toute ?], sur deux ans et demi, on a dû jouer environ 80 fois en Europe, et une bonne trentaine de fois au Québec. » La proximité des villes permet d’organiser des tournées qui valent la peine. « Au Québec, il faut que tu fasses 200 kilomètres entre deux shows. Il y a moins d’options. » Et ça en vaut les efforts ? Si les diffuseurs s’organisent bien entre eux, la tournée européenne peut se conclure avec un petit profit, et des salaires modestes pour les musiciens. « Et des fois, tu tombes moins bien. Une fois sur trois, c’est déficitaire. »

Quintessence du cool

Benoît Paradis Trio, Ambiances Ambiguës. En concert le 2 novembre au Théâtre Sainte-Catherine dans le cadre du Coup de coeur francophone.



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