Un musicien ne se juge pas au nombre de décibels

Juraj Valčuha est l’un des chefs potentiellement pressentis pour succéder à Kent Nagano. Il entre dans cette course au même titre que Juanjo Mena, en tant qu’« élu » parmi les rares chefs invités consistants à nous avoir visités depuis dix ans.
Ce statut est toujours de mise, à considérer la loge de corbeille garnie de membres du comité de sélection, Zarin Mehta compris. Parmi les critères pour le choix du futur chef, il y a sa disponibilité et son ouverture à l’égard de Montréal. Il est donc d’intérêt public de mentionner ici que M. Valčuha est le tout premier musicien depuis des lustres à avoir refusé une entrevue au Devoir demandée à des semaines de préavis sous prétexte, communiqué par son agent artistique au service des communications de l’OSM, que son emploi du temps trop chargé l’empêchait de nous parler ! C’est bien dommage, car nous nous étions entretenus avec ses collègues, a priori « concurrents », Petrenko et Mena et il était bien légitime de lui offrir la même tribune.
Passages interstitiels
Il ne fait aucun doute que Juraj Valčuha a les faveurs des musiciens de l’orchestre. En trépignant ainsi sur scène après la Symphonie alpestre, ils faisaient presque plus de bruit que les applaudissements du public nourris, mais moins délirants que pour Rafael Payare. Du bruit certes, mais peut-être un peu moins tout de même que Franz-Paul Decker se retournant dans sa tombe de voir son ex-orchestre en pâmoison devant « ça » !
Je n’ai rien à redire face aux qualités de technicien et « dompteur » de Juraj Valčuha, mais une Symphonie alpestre ne se juge pas au nombre de décibels. Elle ne se gagne ni Sur le sommet, ni dans la Vision, ni dans l’Orage, même si ce sont les passages qui en imposent. L’Alpestre se révèle aux entournures, dans les jointures, dans les dosages, les formules straussiennes de l’Ascension ou de l’Entrée dans la forêt, dans les climats du Calme avant la tempête et dans les nuances de l’Épilogue (bois !).
Tous ces passages que l’on croit « interstitiels » avant les « vrais affaires », mais où il est si difficile de faire de la musique, de créer du mouvement, une atmosphère, une tournure straussienne, un point de suspension, voire un rien de ce « schmalz » (le saindoux) typique du compositeur. C’est là que j’ai retrouvé, hélas, Juraj Valčuha le musicien carré, cartésien, foncièrement inintéressant du premier concert (Moussorgski, Szymanowski, Danses symphoniques de Rachmaninov) en 2014.
Juraj Valčuha a essayé mercredi soir de diriger Strauss, qui plus est l’oeuvre emblématique de Franz Paul Decker dans la ville de Decker et oeuvre par ailleurs majeure du répertoire de Kent Nagano. Ouf ! Avantage : la Symphonie alpestre dure 52 minutes, alors que le Chevalier à la rose durerait plus de 3 heures. La salle s’est majoritairement levée. L’administration de l’OSM aussi. Tout le monde est content, tant mieux. Zarin Mehta, lui, est resté assis. Merci.
Au passage, je me demande où était passé, derrière toutes ces nuances poussées, le beau son de l’OSM version Eschenbach de la semaine dernière (et Dieu sait que je ne suis pas un fan d’Eschenbach, mais tout de même, faire la différence entre le jour et la nuit est quand même assez facile). C’est peut-être un détail dans les critères d’appréciation.
En première partie, Juraj Valčuha a mis énormément de soin à ciseler avec beaucoup de tonicité et de coups d’archet courts l’ouverture des Joyeuses commères de Windsor, qu’il a tirée vers le Mendelssohn du Songe d’une nuit d’été. Il a ensuite accompagné André Laplante dans le virtuose 1er concerto de Mendelssohn. Valčuha semble être un accompagnateur plus naturel, chaleureux et attentif que Petrenko et André Laplante a traversé l’oeuvre avec élégance et volubilité.