Charles Richard-Hamelin emmène l’OSM et son trombone solitaire

Le concert affichant les deux concertos de Chopin, occasion pour Charles Richard-Hamelin d’un enregistrement discographique pour Analekta, est donné par l’OSM « en hommage au 100e anniversaire du recouvrement de l’indépendance de la Pologne ».
Dommage que pour une telle occasion Kent Nagano et l’OSM n’aient rien trouvé de plus judicieux que d’étirer le concert jusque passé 22 h 30 avec une oeuvre… hongroise signée Bartók, alors qu’il y a dans le répertoire polonais, notamment chez Mieczysław Karłowicz, plein de belles partitions à découvrir. Nous reviendrons sur Bartók en fin de compte rendu.
Distinction et spontanéité
Charles Richard-Hamelin a été le héros de la soirée. C’est lui qui, dans Chopin, mène la danse (c’est le cas de le dire) et attire l’orchestre dans son monde et ses atmosphères. En entrevue au Devoir, récemment, le jeune pianiste québécois soulignait l’héritage de l’OSM dans ces concertos, avec les disques de Jorge Bolet et Martha Argerich gravés par Charles Dutoit. Charles Richard-Hamelin n’a aucun problème à trouver sa voie. Plus spontané et naturel que Bolet, il ne cherche jamais à rentrer dans le jeu du fantasque, façon Martha Argerich.
D’une certaine manière, le pianiste, qui reste très parcimonieux dans l’usage de la pédale, notamment dans le 2e concerto, épure son jeu de toute afféterie et mise avec beaucoup de classe sur l’élégance distinguée plus que sur le sentiment à fleur de peau, ce qui est en général gagnant. Conformément à ce qu’il nous avait annoncé, il domine le 2e concerto en jeune aristocrate, alors qu’il semble prendre plus à bras-le-corps le 1er concerto, beaucoup plus ludique dans le Finale, mais aussi très concentré, avec un mouvement lent suprême (quelle émouvante fin).
Partout, toutefois, Charles Richard-Hamelin préserve les racines folkloriques et la pulsation de la musique de Chopin, là où Jorge Bolet voyait souvent un jeu purement pianistique, d’une très fine digitalité.
Trombone solo
Évidemment, nous sommes dans un registre convenu de l’interaction pianiste-orchestre. Kent Nagano et les musiciens ont accompagné le soliste avec soin, mais cela reste un accompagnement plus qu’une franche interaction comme dans le miraculeux et unique enregistrement de Krystian Zimerman, très longuement travaillé et prémédité.
Il y a toutefois une bévue à faire dresser les cheveux sur la tête, relative à la disposition orchestrale des cordes et des bois. L’excellent tromboniste basse Pierre Beaudry se retrouve sans aucun musicien devant lui avec un trou béant de plusieurs mètres sur la scène. Sans personne pour absorber le son, il émerge acoustiquement et surnage dans tous les tutti. Je ne sais si tous les tutti de cette première prise sont à jeter ou si le mixage, par trucage, va pouvoir remédier à ce problème de balance.
Je le répète, l’excellent et infortuné Beaudry n’y est pour rien. Le coupable est soit le preneur de son, qui cherche à isoler les sources sonores, soit le chef, soit les deux. Si les uns et les autres cherchent à estomper le déséquilibre, il suffirait sans doute de glisser les contrebasses vers la gauche pour faire un peu écran.
Affreux Bartók
Selon le programme annoncé, Kent Nagano s’était réservé une oeuvre « de chef » après les deux concertos. Est-ce que l’OSM a eu peur que le public parte après Chopin ? Le fait est que la musique hongroise du concert polonais a été déplacée et nous a été servie en fin de première partie, soit une moitié de concert de 90 minutes !
Si le chef a voulu que tout le monde l’entende, nous n’avons pas été gâtés. Je crois bien que ce fut le pire Bartók de ma vie en concert : invertébré, sans assise, mal préparé. Après le très médiocre Sacre du printemps en ouverture de saison, c’était sans doute encore plus mauvais, notamment les 2e et 4e mouvements. Qui plus est, la partition comprend une proposition de disposition, qui sépare les deux groupes de cordes par toutes les percussions placées au centre. Nous en étions très loin. Je passe les détails.
Faut-il vraiment applaudir ces notes jetées en pâture à la va-vite entre deux avions ? Espérons qu’après deux concerts, la représentation de dimanche, devant les caméras, sera au moins à peu près décente.