Walter Boudreau et Alain Lefèvre au bout de leur rêve

Après sa croisade en faveur d’André Mathieu, Alain Lefèvre (notre photo) avait voulu s’associer à François Dompierre, puis à Walter Boudreau dans l’idée de promouvoir les compositeurs vivants du Québec.
Photo: Fred Cattroll Après sa croisade en faveur d’André Mathieu, Alain Lefèvre (notre photo) avait voulu s’associer à François Dompierre, puis à Walter Boudreau dans l’idée de promouvoir les compositeurs vivants du Québec.

Analekta publie aujourd’hui The Bounds of Our Dreams, un double album restituant les concerts donnés les 20 et 21 février à Ottawa avec l’Orchestre du Centre national des arts.

Ces « Frontières de nos rêves » — le titre est traduit, en caractères maigres, en dessous, et l’ordre des priorités typographiques est inversé au dos — associent le Concerto de l’asile de Walter Boudreau joué par Alain Lefèvre et Schéhérazade de Rimski-Korsakov, le concert s’ouvrant par la Pavane pour une infante défunte de Ravel.

La parution discographique est pour le moins utile, puisqu’elle permet d’entendre le Concerto de l’asile de Boudreau dans des conditions optimales. On se souvient de la création brouillonne et chaotique de l’oeuvre à Montréal, si peu préparée que chef (Ludovic Morlot) et orchestre (OSM) s’étaient perdus au point de devoir arrêter et reprendre le premier mouvement.

Un noyau trituré

 

Après sa croisade en faveur d’André Mathieu, Alain Lefèvre avait voulu s’associer à François Dompierre (Préludes), puis à Walter Boudreau dans l’idée de promouvoir les compositeurs vivants du Québec. Le noyau du concerto est la Valse de l’asile, un « ver d’oreille » composé auparavant par Boudreau comme musique de scène pour une production de L’asile de la pureté de Claude Gauvreau.

Le passage de Mathieu à Boudreau ne manque pas de sel. André Mathieu crame plusieurs thèmes à la minute, alors que Boudreau réussit à composer un concerto de 44 minutes sur un seul thème, une cellule de quelques mesures exposée sous une infinité de lumières brisées et passant de l’orchestre au piano, par tout un spectre d’ambiances, des plus violentes et torturées (1er mouvement : « Les oranges sont vertes ») aux plus oniriques et insaisissables (volet central : « Saint-Jean-de-Dieu »), le finale étant un immense chaudron menant à une apothéose consensuelle. Dans le concept, si j’ai bien compris, les dissonances sont l’obscurantisme à travers lequel la valse, pure, tente de se frayer un chemin. Ce chemin est long et tortueux.

Nul doute que, dans la production de Walter Boudreau, le Concerto de l’asile occupe une place éminente. La question qui recevra des réponses subjectives individuelles est immuable le concernant et tient au sens de la mesure. Le sujet tombe bien. Démesure et Gauvreau… Si un concerto sur Gauvreau « déborde » saurait-on vraiment asticoter Walter Boudreau là-dessus ?

Pour l’auditeur reste la question de l’envie de renouveler l’expérience, donc de l’achat même du disque. Peut-être que les services de lecture en continu auront du bon, histoire de se faire une idée ? Commencez alors par le 2e mouvement : c’est dans les espaces du rêve que Gauvreau, Boudreau, Lefèvre et Shelley se rejoignent sans discussion. Ce volet dure 8 minutes. Le concerto en fait 44.

En ce qui concerne les œuvres symphoniques, on ne peut que se réjouir d’avoir des disques d’Alexander Shelley. La pavane est très sensible. Il manque la vibration « à la française » du cor solo. Schéhérazade décolle véritablement, et de la plus belle manière, à partir de l’allegro molto au cœur du second mouvement, Le récit du prince Kalender. Évidemment, personne n’achètera un double album aussi hétéroclite pour Rimski-Korsakov. Le sujet de la parution est le concerto de Walter Boudreau par Alain Lefèvre dans un environnement orchestral enfin idéal.

The Bounds of Our Dreams – Aux frontières de nos rêves

Ravel. Pavane pour une infante défunte. Boudreau : Concerto de l’asile. Rimski-Korsakov : Schéhérazade. Alain Lefèvre (piano), Orchestre du Centre national des arts, Alexander Shelley. Analekta 2 CD AN 28874-5.

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