Le fripon, vainqueur de la soirée inaugurale de l’OSM

L'auteur-compositeur-interprète innu Florent Vollant (à l'avant-plan) s'est joint à l'Orchestre symphonique de Montréal, qui partira en tournée dans le Nunavut dans quelques jours. 
Photo: Antoine Saito L'auteur-compositeur-interprète innu Florent Vollant (à l'avant-plan) s'est joint à l'Orchestre symphonique de Montréal, qui partira en tournée dans le Nunavut dans quelques jours. 

Rassurez-vous : l’OSM et Kent Nagano ont participé au même concert, hier soir. La nécessité de cette précision s’impose en observant le hiatus entre la communication du chef et celle de l’orchestre.

Dans un courriel de la société de relations publiques qui gère, d’Allemagne, la communication de Kent Nagano, on lisait jeudi : « Kent Nagano ouvre la saison aujourd’hui avec une première mondiale à Montréal », alors que l’OSM avance depuis des mois que « Le sacre du printemps et le Boléro de Ravel ouvrent la 85e saison » ! Faudrait-il donc cacher ici ce que l’on proclame ailleurs ?

Pour le coup, Kent Nagano et Le Devoir se rejoignent sur le vrai centre de gravité du concert inaugural de cette 85e saison. C’est pour cela que nous avons braqué les projecteurs, samedi, sur Chaakapesh, le périple du fripon, opéra de chambre sur un livret de Tomson Highway, auteur cri du Manitoba, une création fortement soutenue par le Conseil des arts du Canada et qui partira en tournée dans le Nunavut dans quelques jours.

Avant le concert, Madeleine Careau, chef de la direction de l’OSM, a salué Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, et la présence de nombreux autres dignitaires des Premières Nations, dont les communautés seront bientôt visitées par les musiciens.

Stimuler la curiosité

 

Quel sera l’accueil de ces communautés à l’égard de ce projet ? C’est évidemment l’enjeu et le suspense principal dont il serait captivant de témoigner. En effet, Chaakapesh, le périple du fripon se compose de deux couches distinctes.

Le livret et les personnages font appel à l’imaginaire et aux légendes des peuples autochtones, avec des narrations en innu (excellent Florent Vollant, très fluide, jamais pompeux) ou en inuktitut et un texte chanté en cri. Le béotien sera étonné de la légèreté avec laquelle ces dieux (Mantoo, un chef des divinités et son petit-fils, le dieu du rire Chaakapesh) se traitent de noms d’oiseaux (abruti, idiot, etc.). Mais l’histoire est divertissante et dépaysante.

À l’opposé, la musique semble faire peu de cas des traditions. Nous sommes dans une obédience occidentale. Cette juxtaposition revendiquée des deux mondes est-elle clivante ? Cela dépendra sans doute des oreilles des auditeurs. Avec nos références, l’oeuvre de Matthew Ricketts ne pose aucun problème. Schématiquement, son univers mélange en quelque sorte le Château de Barbe-Bleue de Bartók (Mantoo fait souvent penser à ce héros-là) et la prosodie générique courante dans les récentes oeuvres lyriques américaines. Nous avions déjà relevé la grande habileté de Matthew Ricketts dans sa création précédente pour l’OSM.

Le bilan de ce Périple du fripon, sans que nous soyons face à une révélation renversante, est positif. Il n’y a rien d’intimidant dans cet ouvrage, qui fait partie de ces créations que le public devrait être plus curieux de découvrir que de réentendre pour la énième fois une symphonie rabâchée. Kent Nagano avait bel et bien raison d’en faire le sujet principal du concert.

Un Sacre flottant

 

Prenons le slogan de l’OSM à la lettre et considérons donc que Le sacre du printemps a eu l’honneur d’ouvrir la saison. Oh, misère ! Si ce Sacre a ouvert quelque chose, c’est bien la voie à d’immenses possibilités d’amélioration. Nous étions très loin du niveau de l’OSM dans cette même oeuvre en 2016 lors de sa tournée aux États-Unis. Si le dernier tiers fut du niveau attendu de la part du chef et de l’orchestre, ce qui précédait était pour le moins rouillé, grevé de failles individuelles, de plusieurs décalages et autres départs intempestifs, auxquels on ajoutera des chutes de tension. Je n’ai pas vraiment souvenir d’un moins bon Sacre à l’OSM. Cela dit, l’objectif principal de la soirée était surtout de rafraîchir l’oeuvre, avant une reprise en mars, avant la tournée européenne. Les choses sérieuses commenceront alors et les éléments seront cadrés.

À l’applaudimètre, le Boléro a évidemment surpassé Le périple du fripon, mais le Boléro gagne toujours à ce petit jeu. Prestation solide, avec mention spéciale à André Moisan pour son solo parfaitement canaille.

Le sacre du printemps et le Boléro de Ravel

Matthew Ricketts : Chaakapesh, le périple du fripon, opéra de chambre en trois scènes sur un livret de Tomson Highway (création). Stravinski : Le sacre du printemps. Ravel : Boléro. Owen McCausland (ténor, Chaakapesh), Geoffroy Salvas (baryton, Mantoo), Florent Vollant (narrateur en innu), Akinisie Sivuarapik (chant avec tambour), Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano. Mise en scène : Charles Dauphinais. Maison symphonique de Montréal, jeudi 6 septembre. Reprise samedi.

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