Friponneries à l’OSM

Le baryton Geoffroy Salvas personnifie dès cette semaine le dieu Mantou, qui guide le destin du héros Chaakapesh, incarné par le ténor Owen McCausland.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le baryton Geoffroy Salvas personnifie dès cette semaine le dieu Mantou, qui guide le destin du héros Chaakapesh, incarné par le ténor Owen McCausland.

L’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) enchaîne la Virée classique de cette fin de semaine et l’ouverture de sa saison jeudi et samedi prochains. Originalité de cette entame : une création, Chaakapesh, le périple du fripon, de Matthew Ricketts et de l’auteur cri Tomson Highway, présentée par la suite en tournée dans le nord du Québec.

Sur l’affiche de l’ouverture de la 85e saison, Le sacre du printemps de Stravinski et le Boléro de Ravel éclipsent totalement la création de Chaakapesh, le périple du fripon, commande de l’OSM reposant sur une légende crie. C’est pourtant cet opéra de chambre, une création soutenue par l’initiative Nouveau Chapitre du Conseil des arts du Canada, qui sera le cœur même de la tournée subséquente de l’Orchestre, entre le 10 et le 19 septembre, dans le nord du Québec.

Le mélomane aura l’occasion de réentendre Le sacre du printemps, repris le 24 février, avant la tournée européenne de l’Orchestre, alors que des transcriptions du Sacre du printemps et du Boléro se retrouveront associées lors du concert anniversaire de l’orgue Pierre-Béique, le 19 mai 2019.

Par contre, une ouverture de saison avec une œuvre de 45 minutes chantée en cri et narrée en innu et en français, formant le substrat artistique des premières semaines de l’OSM en tournée dans de lointaines communautés, apparaît d’une singulière originalité et mérite un coup de projecteur.

La paix par le rire

 

Le baryton Geoffroy Salvas, que l’on a vu, impérial, en Néron de Wall Street dans la plus récente création de la compagnie Ballet Opéra Pantomime, Nero and the Fall of Lehman Brothers, personnifie dès cette semaine le dieu Mantou, qui guide le destin du héros Chaakapesh, incarné par le ténor Owen McCausland.

« Chaakapesh est une sorte de Till l’espiègle, un personnage mythologique que l’on retrouve dans plusieurs fables de la tradition innue. Mantou lui explique que ses cousins sont en train de se faire massacrer, et Chaakapesh lui demande comment il pourrait les sauver. Mantou lui répond : « Par le rire. » C’est ainsi que Chaakapesh, le fripon, devient le sauveur de sa nation par le rire, la prémisse étant que, si les deux partis sont en train de rire, ils ne peuvent se taper dessus en même temps », nous explique Geoffroy Salvas.

Dans la préparation de cette œuvre, Salvas est en relation avec le compositeur Matthew Ricketts et le librettiste Tomson Highway depuis février : « Certains compositeurs aiment écrire avec une voix précise en tête. » Le baryton est donc allé chanter à New York pour Ricketts, et la composition a été véritablement modelée à l’image de son timbre, avec des échanges constants lors du processus. En tant que chanteur, Salvas est sensible au fait que « Matthew Ricketts a réalisé un travail très méticuleux avec la langue pour s’assurer d’avoir les bons accents toniques aux bons endroits ».

Geoffroy Salvas lui-même a travaillé la langue crie avec Tomson Highway, le librettiste : « Le cri du nord du Manitoba, pas celui de la Baie-James », précise le chanteur. Chaakapesh, le périple du fripon sera aussi cimenté par une narration, confiée à Florent Vollant en innu et en français à Montréal le 6 septembre et pour les deux derniers des concerts de la seconde partie de la tournée — 17-19 septembre à Oujé-Bougoumou (Chibougamau), Mashteuiatsh (Lac-Saint-Jean) et Uashat Mak Mani-Utenam (Sept-Îles).

Lors des concerts emblématiques de la tournée au Nunavik (10, 12 et 14 septembre à Kuujjuaq, Salluit et Kuujjuarapik) et de celui du 8 septembre à Montréal, la narration sera assurée en inuktitut par Akinisie Sivuarapik. Cette narration, qui tient une part importante dans le projet, est adaptable selon les communautés visitées. Elle sera donc en cri de la Baie-James à Oujé-Bougoumou le 17 septembre.

Le Grand Nord vu de New York

 

C’est à New York que vit le compositeur canadien Matthew Ricketts, choisi pour ce projet. Ricketts, 32 ans, est né en Colombie-Britannique. Il a été formé à McGill et à l’Université de Columbia. Ricketts avait été précédemment sollicité par l’OSM en 2017 pour une composition pour le 150e anniversaire du Canada, Blood Line, évoquant la construction du chemin de fer.

Premier défi pour Chaakapesh, le périple du fripon : la réalisation de deux moutures de la même œuvre, destinée à une présentation à Montréal et à une tournée en deux phases, pour 15 instrumentistes dans la partie Nunavik (10-14 septembre) et pour 45 musiciens dans la seconde phase (17-19 septembre). « J’ai commencé par le livret avec Tomson Highway. Une fois les personnages en pace et l’histoire écrite, j’ai réalisé une version avec piano comme point de départ. À partir de là, j’ai composé une version pour 15 instruments, c’est-à-dire celle qui va tourner au Nunavik, puis orchestré cette mouture pour un orchestre de type classique de 45 musiciens. C’est la même œuvre avec la même musique, simplement un élargissement sonore », nous déclare le compositeur.

La conception du projet s’est faite à la fin de l’été dernier, « fin août ou début septembre ». « Kent Nagano souhaitait avoir une œuvre mettant en contact l’OSM et les communautés autochtones. J’ai rencontré Tomson Highway et Marc Wieser, responsable du projet à l’OSM. Tomson Highway a écrit le livret et, en décembre, nous sommes allés pendant quatre jours en immersion dans une communauté au Nunavik. Les choses ont été finalisées en janvier, et j’ai commencé l’écriture de la musique. En juin j’avais fini. » À juste titre, Matthew Ricketts note que « six mois, c’est assez court pour une œuvre de 45 musiciens ».

Les chanteurs sont en train de répéter avec piano. Quant à l’orchestre, « le début avec Maestro Nagano est prévu le 2 ou le 3 septembre », nous dit le compositeur, qui attend ce moment avec fébrilité. En matière de construction de projet, cette ébullition créatrice autour de Chaakapesh, le périple du fripon se distingue donc de la préméditation froide du projet quadripartite Life Reflected tel que conçu par Alexander Shelley à Ottawa, dont la partie I Lost My Talk de John Estacio, véritable mètre étalon de la création musicale sur le thème « vérité et réconciliation », avait été répétée un an avant le spectacle, le chef voulant que ses musiciens intègrent la création dans ce qu’il appelait « le cercle des vieux amis ».

Dans son œvre, Ricketts n’a pas « tenté d’imiter » la musique entendue lors de son immersion au Nunavik. « J’y ai entendu du chant de gorge, de l’accordéon, de la musique qui venait de traditions écossaises. C’était présent à mon esprit au même titre que les paysages. Par contre, dans l’histoire, Chaakapesh chante une chanson de son enfance et Tomson Highway m’a chanté une chanson de sa propre enfance que j’ai introduite. »

Quant à la langue crie, elle est aux oreilles du compositeur, une langue très musicale avec « beaucoup de vitalité rythmique ». Ricketts l’a compris au fil de nombreuses conversations téléphoniques avec son librettiste. Le rythme des friponneries devra donc beaucoup à l’invention du téléphone.

Les concerts de la semaine

Ladies’ Morning Musical Club. La saison 2018-2019 s’amorce cette semaine avec l’OSM seul en scène dans Le sacre du printemps, le Boléro et le fripon opéra de chambre en création mondiale. Il faut donc se projeter sur la fin de semaine des 8 et 9 septembre. Celle-ci compte un événement à ne pas manquer : le retour à Montréal du baryton-basse Philippe Sly pour Le voyage d’hiver de Schubert au Ladies’ Morning. Sly reviendra chanter l’œuvre avec accompagnement klezmer à la salle Bourgie le 18 novembre. Le 9 septembre à 15 h 30 à la salle Pollack.

Pentaèdre. Conflit horaire, hélas, entre le concert de Philippe Sly et la rentrée de Pentaèdre, qui reçoit le quintette à vents espagnol Azahar. Les deux ensembles interpréteront séparément des œuvres de Beethoven, de Guilio Briccialdi, de Turina et des contemporains Miguel del Águila et Frederic Sánchez Muñoz, et se réuniront dans une transcription de l’ouverture de Luisa Miller de Verdi et la création d’une composition de Simon Bourget. Le 9 septembre à 14 h 30 au Conservatoire.

Chaakapesh, le périple du fripon

Les 6 et 8 septembre à la Maison symphonique. Mise en scène de Charles Dauphinais. En tournée au Nunavik du 10 au 14 septembre (formation de 15 musiciens). En tournée dans des communautés à Chibougamau, au Lac-Saint-Jean et à Sept-Îles du 17 au 19 septembre. Œuvre en cri, en inuktitut, en innu, en français et en anglais faisant appel à la collaboration d’artistes locaux issus des communautés visitées.



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