Jeunes musiciens en mode migratoire

L’Orchestre des jeunes du Canada, qui porte désormais l’appellation unilingue NYO Canada, mais compte pourtant, au sein d’un effectif de 95 jeunes musiciennes et musiciens, 31 Québécois, a intitulé sa saison 2018 « Migrations », car après le dernier concert en sol canadien, vendredi à Ottawa, il s’envolera pour trois concerts en Europe : Berlin le 8 août, Kassel (en Allemagne) le 10 et Édimbourg le 14.
Le programme joué à Montréal est celui de Kassel, une oeuvre canadienne de John Estacio, Moontides, remplaçant (heureusement !) Copland à Berlin et Gershwin à Édimbourg, les Écossais entendant par ailleurs une symphonie de Vaughan Williams en lieu et place du Poème de l’extase.
Pour un programme de tournée, ce que nous avons entendu mercredi ne manque pas d’étonner, notamment dans la succession Gershwin-Strauss en première partie. Mais l’anachronisme s’explique plus ou moins. Catfish Row donne un petit rôle de claviériste à Jonathan Mak, second prix Michael-Measures du Conseil des arts du Canada, et le Concerto pour cor no 2 de Strauss met en vedette un jeune corniste montréalais de 21 ans, Martin Mangrum, lauréat de ce prix assorti d’une bourse de 25 000 $ qui lui a été remise avant le concert.
Extase calculée
Élève de John Zirbel, premier cor de l’OSM, Mangrum est allé parfaire sa formation à Los Angeles. Il a pris possession du concerto de Strauss avec une assurance croissante (superbe et bondissant Finale), qui lui sera nécessaire quand il le jouera à Berlin. Ses moyens et ses qualités naturelles devraient lui permettre d’y éliminer les quelques rares scories dans l’émission qui n’ont pas empêché de goûter la beauté du son et de la tenue des lignes.
Gershwin et Copland (est-ce vraiment nécessaire de doublement célébrer la musique du voisin du Sud ?) ont illustré le bonheur de Jonathan Darlington à entraîner les jeunes musiciens à la précision du dessin rythmique et ont montré, après le récent Pelléas et Mélisande de l’Orchestre de la Francophonie, que le millésime 2018 est excellent pour les orchestres de jeunes. La fermeté sonore à tous les étages (altos !) dans Copland était impressionnante. Tout juste ai-je trouvé le solo de violon sur Summertime dans Catfish Row trop minaudant et l’approche de Gershwin un peu trop polie.
C’était la première fois que l’orchestre jouait le Poème de l’extase cette année. Pour un premier jet, cela s’est bien passé, le chef facilitant la tâche en ne creusant pas les écarts rythmiques et en démarrant à un tempo déjà soutenu. Jonathan Darlington observe davantage l’Andante que le « languido » du début de la partition. Bien agencé et collant à la lettre plus qu’à la tradition (le chef récuse ainsi la grande fermata — silence — avant le crescendo final, une coutume russe, mais qui ne figure pas dans la partition), le Poème de l’extase de Darlington est une remarquable mécanique à laquelle il manque encore les frémissements des paliers émotionnels dont Scriabine truffe le texte.
La musique « avec une volupté de plus en plus extatique », ce sera, j’espère, pour les Berlinois…