Wesli présente «Rapadou»: les trésors des lakous

L’album «Rapadou» de Wesli est à moitié constitué de chansons folkloriques recueillies auprès des lakous, les archives officieuses de la nation haïtienne.
Photo: Josué Bertolino L’album «Rapadou» de Wesli est à moitié constitué de chansons folkloriques recueillies auprès des lakous, les archives officieuses de la nation haïtienne.

Wesli, auteur, compositeur, guitariste et interprète montréalais, désormais archiviste du patrimoine musical d’Haïti. Rapadou, son cinquième album, est à moitié constitué de chansons folkloriques recueillies auprès des lakous, les archives officieuses de la nation haïtienne, aussi nombreuses sur l’île qu’il y a de clans, de familles, de générations pour transmettre ce trésor culturel. « Si on n’approche pas la musique de racines avec respect, ça devient une autre forme de musique. Je chante ces chansons avec beaucoup d’humilité, car je crois que les Haïtiens méritent que l’on respecte ce patrimoine musical », affirme Wesli.

Né à Port-au-Prince, Wesley Louissaint conserve évidemment de puissants liens avec l’île ; il y est retourné souvent depuis la sortie de son précédent album, il y a trois ans, pour dénicher ces chansons rescapées de l’oubli par les gardiens des lakous, qui conservent l’histoire de leur famille depuis l’exil forcé du continent africain. « J’ai fait beaucoup de recherche dans ces archives, il y en a partout ! s’emballe encore le Montréalais. Partout, on a conservé l’histoire de ces chansons. »

Les noms des auteurs et compositeurs originaux se sont perdus dans les fissures du temps passé, mais les refrains, les rythmes et les mots sont encore vivants, abonde Wesli. « J’ai beaucoup de respect pour ces gens qui ont donné leur temps, jour et nuit, pour conserver ces chansons et ces rythmes… »

Et ça s’entend. Beau, lumineux Rapadou, une généreuse offrande de vingt et une chansons, presque la moitié d’entre elles retrouvées dans les lakous, le mot désignant autant la communauté, la famille qu’un lieu physique, le petit village du clan (« lakou », du mot français « la cour »). Toutes des chansons de troubadours, précise Wesli : « C’est précisément ce patrimoine que je voulais préserver. Avec le temps et les progrès technologiques, les orgues et les synthétiseurs, on a perdu de ces éléments distinctifs de la musique populaire d’Haïti », comme le violon, les orchestrations de cuivres des grands orchestres populaires, le vrai son de l’accordéon, aujourd’hui remplacé dans le kompa par un son de synthé.

Musique populaire

 

C’est le son de la musique populaire créole d’avant l’invention du kompa, au milieu des années 1950, par le légendaire Nemours Jean-Baptiste. « Lui-même était issu de cette ère des grands orchestres » qui l’ont inspiré sur Rapadou. Il est là, l’accordéon, joué de manière resplendissante par le musicien d’origine moldave Sergiu Popa sur Pran Pasyans, une composition du fameux Orchestre Tropicana d’Haïti. Wesli a aussi troqué sa guitare pour le banjo, l’instrument du troubadour « qui est arrivé en Haïti lorsque les cueilleurs de canne à sucre sont revenus de Cuba et de République dominicaine », emportant avec eux le souvenir musical de ce séjour, lui aussi forcé.

Rapadou ? C’est du sucre de canne fermenté et conservé dans un bois de bambou. Ça devient un gros bâton de sucre qui se conserve très bien et que l’on utilise en Haïti dans notre café le matin. Ça représente bien ce disque : quelque chose de sucré, quelque chose qui réveille, indispensable dans notre café, et quelque chose qui représente mes racines.

 

L’autre moitié de Rapadou, c’est du pur Wesli, ce formidable métisseur de musiques d’Afrique, de rythmes afro-latins et de musiques populaires créoles. « Au Québec, on a la chance d’avoir une scène musicale riche et inspirante, abonde-t-il. Si on est ouvert, si on a envie d’essayer, d’apprivoiser différents styles de musique, ensuite, ça nous permet de rejoindre davantage de gens. C’est pour ça que tout le monde se retrouve dans ma musique », assure celui qui rentre tout juste d’une tournée européenne et que l’on pourra entendre au festival Haïti en folie le 28 juillet, au parc Lafontaine.

Le plus fascinant, c’est de constater à l’écoute de Rapadou combien l’histoire musicale se répète. La modernité en musiques populaires se mesure à ses métissages, à ses amalgames de différentes influences dans l’espoir de créer un son novateur. La musique de Wesli est à la fois antillaise, africaine (sur Morisdézo, collaboration avec Vox Sambou), latino-américaine (Boogat retrouve à nouveau son collègue sur la chanson 3Fey)… exactement le même genre de métissages que faisaient les grands orchestres haïtiens des années 1940 et 1950, comme L’Orchestre septentrional, L’Orchestre Weber Sicot, Les Difficiles de Pétion-Ville et Les Pachas du Canapé Vert, pour ne nommer qu’eux. « Tout ce qui nous entoure influence notre musique. Il faut ouvrir les oreilles et écouter autour de soi, mais il faut ensuite offrir des chansons qui nous représentent. Ce son que j’offre, c’est la somme de mes connaissances et de mes influences », commente Wesli, qui tout en développant sa carrière en Europe annonce déjà la parution d’un nouvel album « plus moderne et électronique » pour le mois d’octobre.

En terminant, la question qui nous brûle les lèvres : ça signifie quoi au juste, rapadou ? « Rapadou ? C’est du sucre de canne fermenté et conservé dans un bois de bambou. Ça devient un gros bâton de sucre qui se conserve très bien et que l’on utilise en Haïti dans notre café le matin. Ça représente bien ce disque : quelque chose de sucré, quelque chose qui réveille, indispensable dans notre café, et quelque chose qui représente mes racines. »

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