Kerson Leong et le miracle de Bruxelles

En dédiant son rappel, Salut d’amour d’Elgar, avec des mots très chaleureux, à Huguette Dubois, mécène des arts récemment décédée et épouse de Roger Dubois, de Canimex, qui oeuvre inlassablement pour la musique classique et la promotion des jeunes talents, le violoniste Kerson Leong, lauréat 2014 du Tremplin du Concours de musique du Canada (CMC) a fait preuve d’une grande classe et d’élégance.
La classe internationale
Ces qualités marquaient déjà son interprétation du concerto de Samuel Barber. Il est loin le temps où Kerson, l’adolescent auquel tout souriait, jouait du violon avec une facilité déconcertante en éblouissant la galerie. Un Concerto pour violon de Beethoven avec l’Orchestre de la Francophonie en 2017 l’avait montré : Kerson Leong a réussi la mutation si difficile du jeune prodige en artiste majeur. Pour ce faire, il s’est exilé à Bruxelles, pour travailler avec Augustin Dumay à la Chapelle royale. La métamorphose et la densité musicale acquise tiennent du miracle.
Le musicien que nous avons à présent devant nous n’a rien à voir avec ce que nous connaissions. Kerson Leong est resté brillant, mais il a ajouté cette patine et, au fond de lui, cette classe. Il a livré une version intense (du point de vue sonore) mais jamais sirupeuse du concerto de Barber, parfaitement soutenue par le Métropolitain et Nicolas Ellis, ce jeune chef qui, en une semaine, après le Concert populaire de jeudi, a eu son lot d’accompagnements.
La concentration imprimée par les musiciens était telle qu’entre le premier et le second mouvement, non seulement nul n’aurait eu l’idée d’applaudir, mais en plus personne n’osait tousser, voire bouger. Et dire que Kerson Leong, qui dès son plus jeune âge avait obtenu cinq années de suite la meilleure note nationale au CMC, n’a que 21 ans.
Nous avons désormais au Canada, avec James Ehnes, ainsi que Blake Pouliot et Kerson Leong dans la génération suivante, un trio de violonistes de classe internationale.
Les lauréats 2018
Kerson Leong parachevait ce gala du 60e anniversaire du CMC. Il était précédé par le pianiste Carter Johnson, 21 ans, un grand gaillard de Vancouver, vainqueur du Tremplin, le volet dit « élite » du concours. Johnson a joué le finale du 3e Concerto de Prokofiev avec une articulation nette, un son bien assis. On verra ce qu’il devient dans le futur.
Des lauréats des trois catégories d’âge présentés, Raymond Huang, 15 ans, de Richmond Hill en Ontario, est celui dont on avait vraiment envie d’entendre plus qu’un mouvement de concerto. Il a joué le volet initial du 1er Concerto de Chopin sans fioritures, de manière enlevée mais sensible et avec une assurance de professionnel en devenir. On le reverra.
On reverra sans doute aussi dans les concours la violoniste de 14 ans d’Edmonton Maya Budzinski. Elle a certes joué le 1er mouvement du concerto de Sibelius avec quelques petites scories, mais à 14 ans, cet aplomb et ce son nourri sur la corde de sol donnent de quoi espérer grandement.
Remise en question
Enseignement et questionnement de ce concert du 60e anniversaire sont résumés et incarnés par la violoniste Lynette Israilian, 21 ans, de Laval. À quoi peut bien servir une catégorie « régulière » 19-30 ans ? D’abord, le rôle de dépistage de talents du CMC est largement passé à cet âge-là (sauf pour les chanteurs), ensuite les meilleurs de la catégorie s’inscrivent au Tremplin et, enfin, la catégorie n’est représentative de rien du tout.
On ne saurait conclure (heureusement !) que Lynette Israilian est la meilleure violoniste ou musicienne de 19 à 30 ans au Canada. Cette catégorie ne veut tellement rien dire qu’ayant eu l’honneur d’être convié à faire partie du jury des prix du Conservatoire à Montréal, il y a deux ans, j’y ai entendu et jugé au moins deux, si ce n’est trois, violonistes supérieurs à mademoiselle Israilian. J’imagine qu’il en était de même à Toronto et à Vancouver.
Lynette Israilian est une bonne musicienne, qui intégrera probablement un orchestre quelque part, mais en son et en assurance il n’y a pas là de quoi mériter l’honneur de la Maison symphonique de Montréal et du Métropolitain pour jouer un mouvement du concerto de Tchaïkovski.
Puissent ce que nous avons entendu et ces quelques lignes permettre d’entamer un processus de réflexion au sein de cette organisation. Les ressources dépensées en pure perte pour donner l’illusion de l’excellence, voire de l’exceptionnalité, à des musiciens adultes qui n’ont qu’à s’inscrire au Tremplin s’ils en ont l’envie et les capacités pourraient ainsi être consacrées à des tâches vraiment utiles à l’échelle nationale à l’égard de la catégorie cruciale des 7 à 15 ans, où le CMC est et reste irremplaçable.