Bombino, le «bluesman» touareg au FIJM

« Il ne reste qu’une chance pour l’Afrique, maintenant », se désole l’auteur, compositeur, interprète et virtuose de la guitare électrique Bombino, qui préfère qu’on l’appelle par son prénom, Omara. Omara Moctar, Nigérien d’origine, héraut des musiques touaregs, bluesman unique en son genre. Cette seule chance, c’était encore l’équipe nationale de soccer du Sénégal, les Lions de la Teranga, qui disputait au moment de faire cette entrevue son dernier match de poules contre la Colombie.
L’entrevue s’est déroulée à la mi-temps de ce match remporté par la Colombie 1-0. Finalement, c’est à l’égalité des points dans son groupe que le sort de l’Afrique s’est joué : les Japonais accédèrent aux huitièmes de finales parce qu’ils avaient reçu moins de cartons jaunes que le Sénégal durant la phase préliminaire. Cruel destin.
Bombino a lancé en mai dernier Deran, le cinquième album de sa carrière, passionnante collection de nouvelles compositions d’un musicien qui, fidèle à son habitude, butine entre les genres et le rythme, appuyant encore un peu plus fort sur la pédale rock. Interprétées en langue tamasheq, les chansons enregistrées au Maroc — « ce n’est pas le Niger, mais c’est au moins en Afrique ! » — parlent d’espoir d’une Afrique meilleure et d’un monde plus juste.
« Deran, ça veut dire souhait », explique le guitariste qui, avec le groupe Tinariwen, a érigé le blues touareg en un genre musical à part entière, reconnu par les mélomanes du monde entier, comme le sont l’afrobeat de Fela Kuti ou le reggae de Bob Marley. « Mon souhait, c’est que nous puissions vivre en paix. Partout au monde. Je me rappelle à l’époque, les touristes venaient nous voir chez nous, au Niger. Et les travailleurs de chez moi partaient pour aller travailler en Europe, découvraient les gens, la culture, et revenaient au Niger ensuite avec leurs histoires. C’est grâce à ces échanges que j’ai appris les langues, un peu d’anglais, un peu de français. Je crois qu’aujourd’hui, si je voyage partout dans le monde avec ma guitare, c’est grâce à mes rencontres. »
Prodige de la guitare
Révélé en 2009 avec un premier album de son orchestre édité sur l’iconoclaste étiquette Sublime Frequencies, Bombino a rapidement fait parler de lui en raison de son jeu de guitare d’une exceptionnelle qualité : inventif, précis, chargé d’émotion, le style de Bombino fait le pont entre les musiques traditionnelles du Sahel, le rock, voire le reggae, un croisement musical qu’il est le premier à avoir tenté. Ses deux derniers albums, Nomad (2013) et Azel (2016), ont grandement contribué à élever sa stature d’as de la guitare, profitant du travail des réalisateurs Dan Auerbach des Black Keys et David Longstreth de Dirty Projectors.
« Mes amis Dan et David m’ont aidé. Vraiment, leur aide est marquée au fond de mon coeur », assure Bombino, l’incarnation de l’humilité. Ils lui ont montré une route à suivre, dit-il, mais quelque chose nous dit que les deux stars américaines du rock voulaient surtout le côtoyer pour percer les secrets de son jeu de guitare hallucinant. La réflexion l’amuse : « Oui, c’est possible… En tout cas, l’important, c’est l’échange dans la musique. C’est ça qui est beau, voir d’autres musiciens jouer, et apprendre de cette expérience. »
« Depuis quelques années, cinq ans disons, on fait des tournées sans arrêt, partout dans le monde, abonde Bombino, joint lors d’une escale à Bruxelles. C’est une expérience que j’adore, grâce au partage musical. C’est en voyageant que ma musique se développe, en travaillant les rythmes, ceux de ma région et ceux qu’on découvre sur la route. Dans notre musique, il y a toutes les musiques : le blues, les rythmes du désert, le reggae aussi est là, évidemment ce rock qu’on entend toujours derrière. Chaque fois que je rentre, je reviens avec de nouvelles idées. Et le meilleur endroit pour composer, pour se réinventer, c’est dans le désert, seul avec ma guitare. »
Le retour « chez lui » n’est pas banal : pendant des années, Bombino fut forcé à l’exil lors de la rébellion touarègue de 1990. « Aujourd’hui, je peux dire que [la capitale] Niamey, c’est chez moi. Agadez aussi. Chaque fois que je reviens de tournée, j’y retourne passer du temps avec la famille. Vous savez, c’était chaud chez moi, dans les années 1990. Aujourd’hui, c’est différent : quand je regarde tout autour, en Libye par exemple, où ça ne va pas du tout, je me réjouis de voir qu’au Niger, nous sommes restés en paix. »
Le 4 juillet au FIJM, à 22 h (L’Astral)