Ry Cooder empoigne la «machine à tuer les fascistes»

Le glissando si caractéristique sur les cordes de sa belle sèche rappelle que nous sommes en présence d’un maître célébré, enfin programmé au Festival international de jazz de Montréal.
Photo: Don Titelman Le glissando si caractéristique sur les cordes de sa belle sèche rappelle que nous sommes en présence d’un maître célébré, enfin programmé au Festival international de jazz de Montréal.

Ryland Peter Cooder marche sans chichi vers sa chaise au centre de la scène du théâtre Maisonneuve, tout seul, le manche de son acoustique empoigné comme un outil de travail. Pas là pour parader, le septuagénaire. Il se branche comme on branche une scie sauteuse. Et puis joue. Le glissando si caractéristique sur les cordes de sa belle sèche rappelle que nous sommes en présence d’un maître célébré, enfin programmé au Festival international de jazz de Montréal (il a fini par dire oui). Plus tôt, avant la première partie assurée par son fils Joachim, André Ménard a remis au même Ry Cooder tout gêné son (lourd) Spirit Award. Enfoui sous son chapeau, l’homme a dit merci en louant Montréal : « C’est vraiment quelque chose de voir que la culture et les arts ont une valeur ici… »

Et Ry de s’éclipser. Mine de rien, le ton était donné. Le thème de la soirée. Le seul sujet qui compte. Qu’est-ce qui vaut quoi, ces jours-ci, dans les États-Unis de Trump et, par conséquent, dans le monde ? La deuxième chanson de son programme, tirée de son tout récent album The Prodigal Son, exprime l’essentiel du propos. Ça s’intitule Everybody Ought to Treat A Stranger Right, et c’est du Blind Willie Johnson, aussi pertinent ce vendredi soir qu’au moment de sa création. Pertinence ? De son vaste répertoire à lui (cinq décennies de musique !), Ry ramène The Very Thing That Makes You Rich (Makes Me Poor) : pas pour rien. La pertinence est un héritage que l’on transmet.

Des guitares en mission

 

Dans le spectacle, parmi les nouvelles chansons, il y a aussi Jesus and Woody. C’est une sorte d’appel aux armes pacifique, un rappel du crucial message que transportait — littéralement — le pionnier folksinger Woody Guthrie il y a trois quarts de siècle. Woody Guthrie, en 1941, collait un bandeau sur sa Gibson L-00. Juste au-dessus du trou. Très clairement, de loin, en majuscules, en noir sur blanc, on pouvait lire ces mots : « THIS MACHINE KILLS FASCISTS ».

Les guitares de Ry Cooder, les mots de Ry Cooder, les relectures de blues par Ry Cooder n’ont pas d’autre but. Recharger la machine. Oui, il s’agit de passer du bon temps, la musique à ce degré d’incarnation donne de l’énergie, du courage, de la joie. Mais aussi du carburant pour l’indignation. « You’ll have a good time », promet l’as guitariste. C’est certain, et le trio soul qui le suit en tournée, les Hamiltones, remplit les coeurs et soigne les âmes. Mais c’est quand Ry Cooder s’assied, guitare semi-acoustique en main, laissant les notes glisser et réverbérer — d’une réverbération qu’il décrit comme « sort of primitive but good » —, que ça se passe. Le combat. La tristesse, la colère, tout se trouve dans Vigilante Man. Du Woody Guthrie.

Du rock’n’roll pour la suite

On peut léviter si on veut, ces notes peuvent soulever par leur seule beauté soutenue à l’infini, mais la musique et la mission oeuvrent ici de concert. Ry commente Vigilante Man, évoque l’odieux de la culture des armes… « Use me, use me », implorent les gâchettes, parce que c’est « leur nature ». C’est bel et bien entre Jésus et Woody que ça se passe, comprend-on, c’est sur ce terrain miné que le nouveau « vigilante man » tire sur tout ce qui bouge.

Bien sûr, le spectacle se termine en rock’n’roll, c’est le rythme de base, l’irrépressible impulsion fondatrice, c’est de là que Ry Cooder vient. Du soleil. Des disques Sun de Memphis, au Tennessee. Johnny Cash (Get Rhythm), puis Elvis (Little Sister) sont appelés en renfort. Ry interprète ces chansons-là depuis toujours, c’est sa manière de rallumer l’étincelle du grand big bang musical qui galvanisa sa génération et celles d’ensuite. La machine de Woody, la voix d’Elvis, le blues de Blind Willie Johnson, les choeurs gospel des Hamiltones, les notes extraordinaires de Ry Cooder : est-ce que tout ça conjugué peut contribuer à sauver la planète ? Cooder, pas plus que nous, ne le sait. Mais ce vendredi soir sur la Terre, on y croit un peu plus.

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