Händel à l’heure de #MeToo: fort et pertinent

Dion Mazerolle et Jacqueline Woodley
Photo: Jean-Pierre Martel Dion Mazerolle et Jacqueline Woodley

Le Festival Montréal baroque s’achevait dimanche au même endroit qu’en 2017 dans une atmosphère inventive et festive. Il reste une étincelle de l’esprit insufflé par Susie Napper à la création de cette immersion musicale en 2003 dans cette joyeuse réunion finale, qui aboutissait à une séance collective d’initiation à la danse baroque sur des airs de Händel.

L’objet du concert était très sérieux sous des atours de divertissement, même si le public avait été convié à y participer, en tant que nymphes et sylvains, répondant par une gestuelle brièvement apprise avant le concert, à des injonctions de Cupidon.

Que faisait Cupidon dans Apollon et Daphné, une cantate profane mettant en scène deux personnages ? Et encore, « mettant en scène » est une terminologie prêtant à confusion, puisqu’il n’est en général pas question de représentation théâtrale. L’introduction du personnage dansé de Cupidon permet de créer un projet « danse et musique », comme Montréal baroque aime les cultiver depuis des années avec Marie-Nathalie Lacoursière. Il permet aussi de transformer Apollon et Daphné en opéra en un acte.

Cette mutation est doublement judicieuse. Premièrement, Apollon et Daphné, d’un Händel de 24 ans marqué par l’Italie, est dramatiquement porteur des promesses du futur grand compositeur d’opéras. Ensuite, Marie-Nathalie Lacoursière a de l’oeuvre une lecture scénique et dramatique d’une actualité très pertinente.

Une fois établi que Cupidon permet d’habiller scéniquement le premier tiers de l’oeuvre et que la soirée ne restera pas dans les mémoires pour sa transcendance musicale (excellente Jacqueline Woodley, face à un Dion Mazerolle imposant mais techniquement fruste, comme engorgé ; les deux étant soutenus par un orchestre honorable), le fond du sujet est qu’Apollon, un dieu, tente d’user de son ascendant sur Daphné, une mortelle, pour la conquérir de force. À bout d’arguments, il lui jettera : « Cède à l’amour ou il t’en coûtera », ce à quoi Daphné répond : « Éteins ton feu dans mon sang [...] Plutôt mourir… »

Marie-Nathalie Lacoursière pousse le bouchon très loin, car, lorsque Apollon poursuit Daphné et que ses pas résonnent au diapason de l’angoisse de la mortelle harcelée, arrivent sur scène Pierre et Alexis Chartrand, un violoneux et un danseur, qui se lancent dans une danse folklorique québécoise. Le son obsédant des claquettes porte au paroxysme l’oppression dans la tête de Daphné, alors même que se fait la passerelle entre le Vieux et le Nouveau Monde et entre les oppresseurs de toutes les époques.

Seule différence entre Händel et #MeToo : dans la scène finale, où Daphné s’est transformée en laurier pour échapper à Apollon, ce dernier démontre un amour sincère et se promet de l’arroser avec ses larmes. On rencontre rarement ce genre de contrition dans notre monde contemporain !

Apollon et Daphné au grand bal de Cupidon

Händel : Apollo e Dafne (cantate profane), précédée de l’ouverture de l’opéra Serse. Jacqueline Woodley (soprano, Daphné), Dion Mazerolle (baryton, Apollon), Stéphanie Brochard (danseuse, Cupidon). Les Boréades, Les Jardins chorégraphiques, Francis Colpron. Mise en scène : Marie-Nathalie Lacoursière. Agora Hydro-Québec de l’UQAM, dimanche 24 juin 2018.

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